Emmanuel Macron : Sous pression


En visite au Luxembourg en début de semaine, Emmanuel Macron doit faire face à des difficultés grandissantes à la maison. La rentrée s’annonce désagréable pour lui.

Le président français a profité de sa visite au Luxembourg pour prendre un bain de foule – même si la foule n’était pas très nombreuse. (Photo : SIP / Jean-Christophe Verhaegen, tous droits réservés)

« Nous voulons être la génération qui refondera l’Europe. » La visite du président français au Luxembourg, mardi, était placée sous le signe de l’Europe. Rejoints plus tard par le premier ministre belge, Charles Michel, Xavier Bettel et Emmanuel Macron ont affiché leur volonté de faire avancer l’Europe, fût-ce « à deux vitesses ». L’occasion pour Bettel de tâter le terrain quant à la position du président de la République en termes de fiscalité. Et pour Macron, qui s’est d’ailleurs montré étrangement conciliant sur le sujet, de fuir la politique nationale le temps d’une journée pour faire ce qui semble lui réussir le mieux : briller devant la presse internationale.

Car à la maison, la rentrée s’annonce chaude pour le président – et il le sait. En chute libre dans les sondages de popularité, Macron veut engager dès début septembre les grandes réformes structurelles annoncées lors de la campagne pour la présidentielle. À commencer par la – nouvelle – réforme du Code du travail, qui sera mise en œuvre à coups d’ordonnances gouvernementales, et donc sans débats parlementaires. Une réforme d’ores et déjà contestée par près de deux tiers de la population, selon des sondages.

Une réforme, ensuite, qui mobilise déjà les syndicats – à l’exception de Force ouvrière (FO) -, qui appellent à descendre dans la rue le 12 septembre pour empêcher ce que Jean-Luc Mélenchon appelle un « coup d’État social ». La manifestation du 12 pourrait d’ailleurs être le prélude à un mouvement social d’une ampleur comparable ou supérieure à celui de 2016, lorsqu’il s’agissait de réformer le droit du travail pour la première fois. Est-ce un hasard si le gouvernement français a commandé pour 22 millions d’euros de grenades lacrymogènes et autres instruments de « maintien de l’ordre », assez pour équiper les forces de sécurité pour les quatre ans à venir ?

Des dossiers épineux

Mais les chantiers d’Emmanuel Macron sont nombreux, et la réforme du droit du travail n’est que l’un des « dix dossiers » de la rentrée : ainsi, le président prévoit de mettre fin aux régimes spéciaux de retraite dont bénéficient, entre autres, les agents de la SNCF, d’EDF ou encore les employés de la Défense. Une réforme qui pourrait elle aussi mobiliser les syndicats, pour lesquels il s’agit là de bastions importants à défendre. La colère gronde, et cela jusque chez les élus locaux, maires de petites communes en première ligne : les dotations aux collectivités locales ont été baissées sans qu’ils aient été prévenus, et cela en plus des 13 milliards d’économies qu’ils vont devoir réaliser pendant le quinquennat.

Ils pourraient bientôt être rejoints par les étudiants, puisque le gouvernement d’Édouard Philippe prévoit d’instaurer des conditions d’accès aux universités pour remédier à l’engorgement des facultés. Une réforme qui irait à l’encontre du principe de libre accès à l’université, pourtant très solidement ancré dans la tradition française. D’ailleurs, la dernière tentative de réglementer l’accès aux facs, en 1986, avait déclenché un large mouvement social et de violents heurts qui avaient, à l’époque, coûté la vie à l’étudiant Malik Oussekine, mort tabassé par des policiers. Le ministre chargé de la réforme, Alain Devaquet, avait dû démissionner et le projet de loi avait été retiré. Déjà en 1968, une tentative de réforme similaire avait échoué, non sans avoir causé les premiers remous d’une année explosive.

Sur l’internet et les réseaux sociaux, un autre dossier épineux continue de causer un tollé : celui des vaccins obligatoires. La ministre de la Santé Agnès Buzyn a en effet annoncé vouloir rendre contraignants onze vaccins, ce qui n’a pas manqué de mobiliser « antivaccins » et complotistes, mais aussi ceux qui reprochent à Macron une trop grande proximité avec les grands laboratoires pharmaceutiques.

Si chacune de ces mesures peut s’avérer dangereuse pour un climat social déjà fortement dégradé, c’est leur combinaison qui s’annonce explosive. Faire passer les réformes impopulaires rapidement sans laisser le temps à ses adversaires de s’organiser, c’est le pari – très risqué – d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe. Mais ces adversaires sont nombreux et représentent beaucoup de secteurs de la société. Et ils meurent d’envie d’en découdre avec un président mal-aimé, élu par défaut, pour se venger d’avoir été obligés, pour beaucoup, de voter pour lui afin d’éviter une possible accession au pouvoir du Front national. La colère gronde dans le pays, et il suffira d’une étincelle pour y mettre le feu.

Alors qu’il bénéficie toujours d’un capital sympathie important auprès des médias internationaux – y compris au Luxembourg -, en France, la pression sur le président grandit. (Photo : © Kremlin)

Capital de sympathie dilapidé

Déjà qu’Emmanuel Macron appelle ses troupes – du premier ministre aux membres de base de La République en marche – à la plus grande vigilance face aux médias et à l’opinion publique. En cause : une communication peu cohérente et souvent défaillante sur les différentes mesures déjà prises ou à prendre. Ainsi, la baisse des « aides personnalisées au logement » (APL) pour les plus pauvres de cinq euros par mois a échauffé les esprits – alors même que le jeu n’en valait pas la chandelle, vu le peu d’économies engendré par une mesure aussi symbolique qu’impopulaire.

C’est le revers de la médaille des députés – et des ministres – issus de la société civile : les faux pas et les malentendus sont légion, en raison de leur expérience politique réduite. Ainsi, cette interview donnée au « Huffington Post » dans laquelle la députée Claire O’Petit a déclaré, à propos de la baisse des APL, de façon très peu diplomatique : « Si à 18, 19 ans, 20 ans, 24 ans, vous commencez à pleurer pour cinq euros, qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? » Ou encore ce vote à l’Assemblée nationale, pendant lequel les députés de la majorité ont voté contre un article de la « loi sur la moralisation de la vie publique » – par erreur, et alors qu’ils l’avaient eux-mêmes validé en commission auparavant.

Face à une partie de l’opposition bien organisée et prête à sauter sur chaque occasion de « faire le buzz », difficile pour le groupe parlementaire En marche ! de faire entendre sa voix. Car si la droite se trouve, pour l’instant, tiraillée entre opposition frontale et collaboration « constructive » avec la majorité présidentielle, et si ce qui reste du Parti socialiste ne représente pas réellement un risque pour la majorité, il n’en est rien pour une autre composante de l’opposition parlementaire : la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

Forte d’un résultat inattendu lors de la présidentielle et désormais dotée de moyens financiers grâce à l’aide aux partis, la formation espère devenir la première force d’opposition à un président ultralibéral et ainsi préparer au mieux 2022. Pour le moment, elle y réussit plutôt bien et peut effectivement se présenter en seule vraie force d’opposition… Reste encore à savoir qui emportera la lutte pour le pouvoir au sein de la droite : supporters de Juppé ou de Wauquiez, « constructifs » ou droite dure ? La droite survivra-t-elle aux maintes divisions qui la traversent ?

Peu importe pour le moment : dans tous les cas, la rentrée politique sera chaude pour Emmanuel Macron. Et les « petits » scandales de l’été, la volonté affichée d’attribuer un statut de « première dame », les 26.000 euros qu’il a dépensés en trois mois pour du maquillage, tout cela ne sert pas sa cause. Le capital sympathie dont il bénéficiait auprès du public français, Macron l’a dilapidé en un temps record. Il n’y a plus que devant la presse internationale qu’il peut briller.


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