Comme dans nombre d’autres États membres de l’Union européenne , le gouvernement d’extrême droite slovène a mis le pays en quarantaine – mais en installant un QG de crise plus qu’opaque. Gare à celles et ceux qui osent le mettre en question.
C’est un message distribué par une liste de journalistes d’investigation : Blaž Zgaga, journaliste slovène multiprimé, connu et craint pour ses recherches sur la corruption et les ventes d’armes illégales, membre de l’ICIJ et ennemi de la censure en Slovénie, se trouve au centre d’une campagne montée par les milieux gouvernementaux contre sa personne et d’autres activistes.
Son délit ? Faire son boulot et poser requête dans le cadre du droit à l’information (« freedom of information request ») sur le QG de crise installé par le gouvernement de Janez Janša. Interrogé par le woxx, Zgaga a ses doutes sur l’impartialité de la composition de ce QG, qui désormais s’est arrogé les pleins pouvoirs et donc peut interner qui il veut sans procès : « Les personnes du QG sont liés au parti SDS (parti démocrate slovène du premier ministre, ndlr), ce qui n’est pas une surprise, parce qu’il est de notoriété publique que ce parti a remplacé la plupart des chefs d’institutions par des personnes liées à lui dès ses premiers jours au pouvoir. Le public slovène ne sait toujours pas comment le QG de crise est organisé et qui en fait partie. C’est exactement ce que je demandais dans ma requête d’informations. »
La réponse est venue via le compte Twitter du QG de crise. Celui-ci a retweeté une affirmation d’un certain Marco (@Authority85) qui proclamait : « Les psychiatres recherchent quatre personnes qui se sont échappées de la quarantaine. Elles sont toutes porteuses d’un virus Covid-Marks/Lenin. » Parmi les « patients » : Blaž Zgaga, le philosophe Slavoj Žižek, le poète Boris A. Novak et le professeur Darko Štrajn.
De plus, la chaîne de télévision Nova24TV – tellement proche du pouvoir que les Slovènes l’appellent « TV Janša » – a directement attaqué notre confrère dans un article, le qualifiant de journaliste émanant de « l’État profond ». La chaîne, fondée en 2015, a déjà été au centre de multiples scandales impliquant des théories conspirationnistes et antisémites, ainsi que des fake news. Pas étonnant donc que trois compagnies médiatiques hongroises, toutes proches du premier ministre Viktor Orbán, soient entrées dans le capital de la chaîne en 2018, lorsque celle-ci se trouvait dans des difficultés financières. Un article similaire a paru sur le site de l’hebdomadaire « Demokracija », qui appartient lui à 100 pour cent au SDS.
Ces articles confirment la suspicion de Zgaga, car même si le twittos anonyme n’a pas pu être identifié, il s’agit clairement d’un troll du SDS : « Ce profil est suivi par des partis d’extrême droite non présents au parlement et des associations locales. De même que par des trolls liés au SDS, qui ont bâti un groupe Twitter de quelques centaines de membres coordonnés, pour mobiliser les membres du parti. Ce groupe contient beaucoup de faux comptes et des bots. J’en ai bloqué au moins deux douzaines, à cause de menaces et d’insultes contre moi », explique-t-il, avant de conclure : « Il est plausible que ce soit un supporter de la coalition au pouvoir et du parti SDS. Son compte était aussi suivi par le premier ministre. »
Était, parce que les comptes et les tweets ont disparu entre-temps. Les menaces sur la démocratie et la liberté de la presse restent elles bien réelles. Voilà pourquoi les médias doivent redoubler d’attention en temps de crise – rien n’est acquis qui ne se défend pas au quotidien.
L’ironie de l’histoire : Ne vous inquiétez pas ! Cela ne peut pas arriver au Luxembourg, tout simplement parce que le grand-duché ne dispose toujours pas d’un droit à l’information pour la presse – même si la mesure, après un lobbying intense, est inscrite au programme gouvernemental.