Esch 2022
 : La glissade continue


La conférence de presse donnée ce mardi par trois membres du conseil d’administration de l’asbl Esch 2022 n’a pas réussi à calmer le jeu. Au contraire, par leur maniement de la langue de bois, les politiciens ont renforcé la méfiance.

Une conférence de presse très chahutée avec les bourgmestres Dan Biancalana, Georges Mischo, Roberto Traversini et l’échevin à la culture Pim Knaff. (©woxx)

« Dès mon entrée en fonction, des personnes ont immédiatement commencé à me mettre la pression pour que j’accorde au plus vite un prolongement de contrat jusqu’en 2023 à Janina Strötgen et Andreas Wagner », s’est plaint le nouveau bourgmestre CSV de la ville d’Esch, Georges Mischo, lors de la conférence de presse. Craignant que certains milieux essayent de tirer profit de sa « naïveté en politique », le conservateur a préféré mettre un frein et ne prolonger le contrat de l’équipe de coordination que de six mois.

Pourtant, il faut se demander si Mischo n’a pas été naïf sur un autre point, bien en amont de cette décision. En acceptant que le dossier de la culture soit du ressort de l’échevin DP Pim Knaff, il s’est fait avoir dès le départ. Non seulement il a donné au parti libéral la possibilité d’avoir un contrôle total sur le projet de capitale européenne de la culture (le DP est aussi aux manettes du ministère de la Culture et du secrétariat d’État), mais Mischo a en même temps abandonné une règle tacite inhérente à ce type de manifestation. En effet, que ce soit en 1995 ou en 2007, l’usage voulait que le bourgmestre en charge de l’année culturelle s’approprie aussi le portefeuille culturel. C’est utile, entre autres, pour éviter que des conflits politiques entre partenaires de coalition mettent en péril la coordination du projet. En cas de victoire des socialistes et de la reconduite de Vera Spautz à la tête de la mairie, cela aurait été le cas, comme nous l’a confirmé l’intéressée lors de la manifestation qui a eu lieu pendant la réunion du conseil d’administration de l’asbl Esch 2022.

Une manif, qui, pour s’être tenu à une heure peu attractive (entre midi, en pleine semaine) avait tout de même réussi à attirer une quarantaine de personnes, dont l’ancienne bourgmestre, les deux conseillers communaux déi Lénk et d’autres appartenant plutôt aux cercles de gauche de la politique communale. Tenant une banderole datant encore du temps où Esch n’était que candidate – dérobée par le conseiller et député de gauche Marc Baum dans la mairie – ils affichaient leur soutien au duo Strötgen/Wagner, dont le travail, pourtant couronné de succès, n’a pas été honoré à sa juste mesure.

Incohérences

En effet, tout est entre les mains de cette équipe qui a réussi à convaincre un jury européen, le même qui avait retoqué une première mouture du projet un an plus tôt. Ont-ils touché à leurs limites ? Interrogés par le woxx, notamment sur la question si oui ou non ils vont accepter le contrat limité à six mois proposé par l’asbl Esch 2022, Strötgen et Wagner répondent : « Nous ne l’accepterons que sous la condition qu’on nous offre une perspective de continuer notre travail par après. Dès que nous aurons la proposition contractuelle sur nos bureaux, nous allons la faire analyser juridiquement, de façon à ce que nous soyons assurés de disposer d’une liberté artistique totale et que nous serons impliqués dans toutes les décisions concernant l’organisation des structures et du budget ». La confiance ne règne donc pas vraiment entre le duo – qui se fait d’ores et déjà conseiller par une assistance juridique – et son conseil d’administration.

Ce qui s’explique aussi par la langue de bois maniée comme une arme à feu lors de la conférence de presse donnée par Georges Mischo, Roberto Traversini et Dan Biancalana. À commencer par la mise en avant de la « quasi-unanimité » (neuf pour et deux contre) de la décision du prolongement de six mois seulement, omettant au passage que le choix n’était pas entre six mois ou rien, mais bien entre six mois et un CDD jusqu’en 2023 ! Pour des politiciens qui n’ont eu cesse de répéter le mot « confiance » durant leur performance et qui ont exprimé la demande d’un « retour au calme dans le dossier » (accusant entre les lignes les médias d’être des fauteurs de trouble), c’est assez culotté. Mais ce n’est pas la seule incohérence. Interrogé sur le fait que les factures ne sont plus payées car tout est bloqué depuis novembre de cette année, Georges Mischo était réticent admettre que c’est bien l’asbl qui a bloqué les comptes – et avant tout son président Mischo et l’échevin à la culture Knaff. Au contraire : le président-bourgmestre s’est contenté d’évoquer une somme à cinq chiffres découverte lors de son entrée en fonctions, laissant entendre que ça serait une des raisons du blocage.

Dans une lettre adressée au conseil d’administration par le duo Strötgen/Wagner et envoyée à la presse peu avant la réunion, les deux réfutent toute accusation d’une gestion douteuse des finances et ne veulent pas endosser la responsabilité pour la gestion depuis fin novembre. Ils précisent d’ailleurs face au woxx : « La somme due en soi n’est pas importante et les communes tout comme le ministère pourraient sans problème l’injecter à tout moment – surtout au vu des cinq millions d’euros qui seront à notre disposition dès janvier. D’ailleurs nous soulignons que notre candidature a été parmi les moins coûteuses (70 millions d’euros) des dernières années culturelles et que normalement, ce sont des équipes de huit à dix personnes qui sont chargées d’une telle candidature. La responsabilité financière reste du côté de l’asbl, d’autant plus que son conseil d’administration a vu tous les paiements du mois de novembre ».

Une gestion financière douteuse

Reste la fameuse « clause de la page 93 » du Bid Book qui prévoyait un nouvel appel à candidature. Contrairement à ce que nous avons pu écrire la semaine dernière, cette clause a bel et bien été inscrite du plein gré de l’équipe coordinatrice. Selon l’équipe, cela s’est fait avec son aval parce qu’à ce moment-là, « nous étions sûrs du soutien du conseil d’administration ». Pourtant, il est indéniable qu’il ne s’agit ni d’une condition, ni d’une recommandation du jury européen – mais d’une particularité luxembourgeoise.

(©woxx)

Un conseil d’administration qui a changé de direction de façon un peu imprévue à l’issue des élections communales d’octobre dernier – et ce n’est pas uniquement à la commune d’Esch que des têtes importantes ont été remplacées. Convaincre et informer ces nouvelles têtes du projet en seulement quelques semaines entre les élections et la bénédiction du jury tout en continuant à travailler à la candidature est une mission impossible pour une équipe tellement réduite par rapport à d’autres villes-candidates en Europe.

Nous sommes donc en présence d’une équipe qui a miraculeusement sauvé un projet que d’aucuns (surtout au ministère de la Culture, qui, soit dit en passant, laisse entendre un silence assourdissant et se lave les mains de cet imbroglio inopportun, l’attribution du titre « Capitale européenne de la Culture 2022 » à la ville d’Esch étant une pure formalité) qui doit maintenant composer avec des nouvelles majorités politiques qui veulent aussi leur part du gâteau. Un gâteau qu’ils n’ont pourtant ni préparé, ni même commandé.

Bref, c’est une tragi-comédie provinciale de plus qui se joue sous nos yeux. Comme presque toujours en culture, on ne parle pas d’elle, mais que d’argent et de pouvoir. Ramener la confiance, serait aussi d’expliquer aux représentants fraîchement élus la plus-value culturelle et la durabilité de la capitale européenne de la culture pour toute la région et pour le pays. Mais au lieu de cela, on se rabat sur des querelles de clocher et de budget où la question du développement du tourisme (une des recommandations) du jury se transforme en arme contre les coordinateurs qui par leur travail acharné ont rendu possible le succès de cette candidature. Prochains actes à prévoir donc dans les semaines à venir, avec l’espoir d’un happy end.


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