Euro 2016
 : Entre fête populaire et risque sécuritaire


Le Championnat d’Europe de football masculin commence ce vendredi 10 juin. Dans un contexte de risque d’attentats et de tensions sociales, l’attitude répressive des autorités françaises à l’égard des supporters de foot risque de faire tourner la grande fête au désastre.

Source d’énervement pour certains, le foot peut aussi procurer de grandes émotions… comme chez ces fans de l’équipe nationale de Suède. (Photo : Wikimédia)

Source d’énervement pour certains, le foot peut aussi procurer de grandes émotions… comme chez ces fans de l’équipe nationale de Suède. (Photo : Wikimédia)

C’était la répétition générale. Pour les joueurs, c’était l’ultime match d’entraînement avant le début du Championnat d’Europe 2016. Pour les supporters, c’était l’occasion d’encourager une dernière fois leur équipe avant le début des hostilités. Et pour les forces de l’ordre, c’était le moment de tester le dispositif de sécurité entourant l’événement.

Samedi 4 juin, ils étaient quelques milliers de supporters écossais à avoir traversé la Manche pour venir assister au match amical France-Écosse au stade Saint-Symphorien de Metz. Ils étaient plusieurs dizaines de milliers de supporters français aussi, et ils ont fait la fête ensemble. Des kilts un peu partout, des chants et de la bière, beaucoup de bière. Le résultat du match – un 3-0 sans bavure pour les Bleus – était secondaire, samedi.

Le bilan des forces de l’ordre : aucun incident sérieux à déplorer, pas de bagarre, pas d’échauffourées, pas d’attentat. L’Euro 2016 sous un bon signe ? Rien n’est moins sûr.

Car si les autorités françaises attendent beaucoup de ce Championnat d’Europe en termes de retombées économiques, mais aussi de ce fameux « esprit d’unité nationale » qui entoure les grands événements sportifs, les risques encourus sont importants.

Des menaces d’attentats qui planent au-dessus du tout, un conflit social autour de la loi « travail » (woxx 1369 et 1372) exprimé à coups de grèves et de blocages, des inondations importantes dans plusieurs régions… et, évidemment, des hooligans des quatre coins de l’Europe qui se sont annoncés.

« Quand tu t’es fait la main sur les salopards en sarouel de Nuit debout et que tu sais qu’il va falloir hausser le niveau de jeu pour rivaliser avec des centaines de mastards russes et anglais… », ironisait le magazine « So Foot » sur sa page Facebook il y a quelques jours, commentant ainsi un article sur l’attitude des forces de l’ordre face au risque de débordements violents.

« Le public qui se déplace pour un Euro est globalement moins virulent que le public habituel des clubs. »

Un risque particulièrement élevé pour ce Championnat, qui a vu son nombre d’équipes passer de 16 à 24. Dont huit équipes d’Europe de l’Est, où les hooligans sont réputés particulièrement violents… tout comme ceux d’Angleterre, d’Allemagne ou de Turquie, pays qui vont, eux aussi, participer.

Un des premiers matchs va d’ailleurs voir s’affronter la Russie et l’Angleterre, à Marseille de surcroît. Sur le net, des interviews de hooligans anglais disant vouloir s’allier à leurs acolytes russes pour faire la « chasse aux musulmans » dans les quartiers marseillais circulent. Lors de la Coupe du monde de 1998, de violents affrontements entre Anglais et jeunes des quartiers avaient éclaté à l’occasion d’un Angleterre-Tunisie disputé à Marseille. De quoi inquiéter les autorités…

Mais des experts en la matière avertissent : il ne faut pas sombrer dans la psychose non plus. Ainsi, Nicolas Hourcade, sociologue spécialiste des supporters et coauteur du « Livre vert du supportérisme », explique dans une interview pour « La Voix du Nord » : « D’abord, il faut être conscient que le public qui se déplace pour un Euro est globalement moins virulent que le public habituel des clubs. Entre autres parce que le prix des places est élevé, comme pour une Coupe du monde. » Pour lui, « les supporters viendront pour profiter de l’événement et soutenir leur équipe nationale. Ils seront très majoritairement festifs ».

La science des supporters – eh oui, ça existe ! – distingue plusieurs types d’individus assistant aux matchs. Du public familial, qui ne fréquente que ponctuellement un stade, aux supporters aguerris et parfois violents en passant par les clubs de supporters « officiels », difficile de les catégoriser complètement.

Le « Livre vert du supportérisme » tente néanmoins de distinguer quelques « supporters types ». Ainsi, on y trouve les « supporters classiques », « généralement installés en tribune assise, qui chantent peu et ne se livrent guère aux insultes collectives et encore moins aux violences physiques ». De même que les associations de « supporters classiques ou traditionnels », proches de leur club ou de leur équipe nationale et qui, eux aussi, sont très peu enclins aux débordements.

« Parfois, l’intervention de la police peut faire dégénérer des situations. »

Mais il y a aussi les « supporters autonomes », généralement rangés dans la catégorie « ultras » – une mouvance apparue dans les années 1970 en Italie et qui se distingue par son indépendance vis-à-vis du club, par des chants continus et sa posture contestataire, parfois violente.

Si la violence n’est toutefois pas le but affiché de cette mouvance, il n’en va pas de même pour les supporters se qualifiant de « hooligans » : organisés en « bandes informelles, recherchant régulièrement la violence et cultivant le secret », ils sont la hantise des pouvoirs publics.

(© Pexels)

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Le public de l’Euro 2016 sera, lui, très majoritairement, familial et festif. Ce qui s’explique par les prix élevés des places, rendant la compétition quasiment inaccessible à un public jeune et, en partie, enclin à la violence. Mais aussi par les mesures de prévention ; ainsi, environ 3.000 supporters de plusieurs pays, fichés pour faits de violence, se sont vu interdire de quitter leur pays pendant la compétition.

Ce qui ne veut pas dire que le risque de débordements n’existe pas. Pour Hourcade, c’est avant tout la gestion des flux de supporters par les forces de l’ordre qui pourrait poser problème. « Parfois, l’intervention de la police peut faire dégénérer des situations », dit-il. Avec, à la clé, des débordements de supporters peu violents à la base.

Depuis le Championnat d’Europe de 2004 au Portugal, la méthode de gestion des supporters dite « low profile » est apparue en Europe. Son utilité est reconnue au moins depuis la Coupe du Monde de 2006, en Allemagne. Selon cette méthode, les forces de l’ordre doivent éviter de se montrer trop offensives aux abords des stades. « Des policiers qui n’interviennent que quand c’est nécessaire, et de manière ciblée sur les individus à risque » : Hourcade explique ainsi le concept dans « So Foot ».

Mais le « low profile », ce n’est pas tout à fait ce que préfère la police française. Ses tactiques reposent en partie sur une logique de « contre-insurrection ». Très offensives, elles visent à intimider avant même le premier incident.

Dans et autour du stade, les autorités françaises ont adopté depuis plusieurs années le « tout-répressif ». Alors que le football est beaucoup moins populaire en France qu’ailleurs en Europe et que la mouvance hooligan y reste très marginale, la répression à l’encontre des supporters y est importante, et une attitude du « tous criminels » l’emporte.

Or, la répression aveugle et sans distinction peut très bien s’avérer contre-productive. Ainsi, l’historien et spécialiste du mouvement « ultra » Sébastien Louis soutient dans une tribune dans « L’Humanité » que la répression peut marginaliser « les groupes de supporters ultras au profit des bandes informelles de casuals (hooligans s’orientant sur le « modèle » anglais, se distinguant par leur style vestimentaire « casual », ndlr) prêtes à l’affrontement avec leurs homologues ».

« Le modèle du tout-répressif vide lentement les stades, mais n’a pas mis un terme aux incidents. »

Pendant qu’en Allemagne par exemple, on mise sur le dialogue et l’encadrement des supporters, en France, on cherche avant tout à éviter le moindre incident, coûte que coûte. Ainsi, la saison 2015-2016 a vu des supporters interdits de déplacements à l’occasion de « matchs à risques » à… 218 reprises !

« Le résultat d’une politique supporteuriste exclusivement répressive », explique Sébastien Louis, dans « Le Monde » cette fois. « Une tendance à l’œuvre chez certains de nos voisins, comme en Italie, où le modèle du tout-répressif vide lentement les stades, mais n’a pas mis un terme aux incidents. »

Pour Nicolas Hourcade, la politique des autorités françaises envers les supporters de foot pourrait s’avérer contre-productive dans un autre sens encore. « Les policiers n’ont pas été suffisamment mis en situation », explique-t-il à « La Voix du Nord ». « Gérer la sécurité autour des stades est une tâche compliquée. Or, en interdisant les déplacements de fans dès qu’un risque était annoncé, on n’a pas permis aux policiers de s’entraîner et de se forger des routines de travail. »

Les rares fois où les dispositifs de sécurité et les stratégies policières ont été testés « sous conditions réelles » laissent présager le pire : ainsi, à l’occasion de la finale de la Coupe de France, qui opposait, le 21 mai, le Paris-Saint-Germain à l’Olympique de Marseille, des incidents ont éclaté. « Tous les dysfonctionnements constatés seront corrigés » a déclaré le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, à moins de trois semaines du début du Championnat d’Europe.


Euro 2016, l’envers du décor

Le football, on l’aime ou on le déteste. Fête populaire par excellence pour les uns, expression ultime de tous les maux de notre société pour les autres, il a autant le pouvoir de passionner que de polariser. Pendant les grands événements – tels que le Championnat d’Europe, qui débute ce vendredi 10 juin -, il devient quasiment impossible de fuir le ballon rond, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. L’occasion, pour le woxx, de s’intéresser de près au plus prisé des sports. Ferveur et passion, mais aussi nationalisme, violence et « big business » : pendant un mois, nous allons revenir occasionnellement sur le dessous des cartes de l’Euro 2016.


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