France : Le bras de fer est engagé

Dans le conflit autour de la loi « El Khomri », qui oppose le gouvernement Valls à un mouvement social très déterminé, le camp gouvernemental durcit le ton. Ses détracteurs aussi.

Ils sont bien décidés à obtenir le retrait de la loi, ne serait-ce que pour préserver leur crédibilité : les syndicats « de lutte ». (Photo : Patrick Janicek / flickr)

Ils sont bien décidés à obtenir le retrait de la loi, ne serait-ce que pour préserver leur crédibilité : les syndicats « de lutte ». (Photo : Patrick Janicek / flickr)

Ils sont décidés à aller jusqu’au bout. Mardi, ils ont commencé à bloquer des points clés de l’économie : autoroutes, ports, raffineries. Des préavis de grève ont été déposés chez les facteurs, chez les routiers et à Aéroports de Paris. Pour ce vendredi 19 mai, une nouvelle journée d’actions est prévue. À la veille du début de la saison des festivals, les intermittents du spectacle menacent de perturber les événements programmés moyennant grèves et actions coup de poing. Et le déroulement de la Coupe d’Europe de football, qui commence le 10 juin, pourrait être troublé par une grève à la SNCF, où un préavis a été déposé jusqu’au 11 juillet, soit un jour après la finale. Les syndicats qui appellent au retrait total de la loi El Khomri (CGT, FO, Sud, CNT, Unef) sont déterminés à engager le bras de fer et à faire plier le gouvernement Valls.

Valls risque son poste…

Le tout dans un contexte social déjà très tendu, à moins d’un an de l’élection présidentielle, alors que la France est en « état d’urgence » depuis novembre. Et, sans oublier, bien entendu, le mouvement Nuit debout qui, bien qu’un peu essoufflé, continue de remettre fondamentalement en cause tout le système politique et économique français, bien au-delà du seul conflit autour de la loi « travail » (woxx 1369).

De l’autre côté de la barricade, le premier ministre Manuel Valls semble lui aussi décidé à passer en force. Mardi 10 mai, lors du débat à l’Assemblée nationale sur le projet de loi El Khomri, il a eu recours à l’article 49-3 de la Constitution française, permettant de faire passer une loi sans vote parlementaire. Le matin même, il avait rencontré une quinzaine de députés socialistes « frondeurs », opposés principalement à l’article 2 du projet de loi – qui fait prévaloir les accords d’entreprise sur les accords de branche -, mais une conciliation ne semblait pas en vue. La majorité gouvernementale étant en péril, Valls a donc, après concertation avec le Conseil des ministres, employé un mécanisme constitutionnel que François Hollande avait jadis qualifié de « déni de démocratie ». « Parce que le pays doit avancer », a-t-il martelé devant l’Assemblée.

Pour les lycéens et étudiants, très mobilisés autour du projet de loi et confrontés à une répression massive depuis plusieurs semaines, le passage en force du gouvernement pourrait marquer le début de la fin du mouvement. Consternation et résignation se font sentir chez bon nombre de jeunes, pour qui un passage en force gouvernemental semblait quasiment inimaginable.

Mais les syndicats n’ont pas oublié le mouvement contre le contrat première embauche (CPE) qui, en 2006, avait réussi à faire plier le gouvernement Villepin, deux mois après le vote de la loi à l’Assemblée. À l’époque, blocages de gares et d’autoroutes, fermeture des accès aux raffineries et aux ports et convergence entre lycéens et étudiants d’un côté et syndicats de l’autre avaient déstabilisé le pays et poussé Villepin à retirer la loi.

La France de 2016 n’est pas la France de 2006, et Manuel Valls n’est pas Dominique de Villepin. Affaibli après le retrait de la déchéance de nationalité, très contestée au sein même de la gauche gouvernementale, éclipsé par l’ascension, très médiatisée, du charismatique Emmanuel Macron, Valls doit aller jusqu’au bout. Une nouvelle défaite politique pourrait lui coûter son poste et projeter Macron à Matignon. Dos au mur, il est prêt à en découdre.

… les syndicats leur crédibilité

Il en va de même pour les syndicats « de lutte ». Alors que le taux de syndicalisation est en chute libre depuis plusieurs années et que le gouvernement tente d’instaurer une nouvelle culture du « dialogue social » à l’allemande, ceux-ci risquent de perdre de leur crédibilité face aux syndicats réformistes et enclins à ce dialogue. Les jeunes et Nuit debout leur ont volé la vedette dès le début du mouvement contre la loi El Khomri, les reléguant ainsi au second rang.

À l’heure où le mouvement lycéen et étudiant faiblit et où le débat public se tourne vers les « casseurs », ces syndicats voient donc le moment venu de prendre les devants. Pour la première fois depuis mars, leurs « services d’ordre » font parler d’eux. Casqués et armés de matraques et de battes, ils font la chasse aux « casseurs » et tentent de canaliser le mouvement. En même temps, leur stratégie vise à bloquer les points clés de l’économie et à mêler conflits sociaux sectoriels (SNCF, intermittents, EDF…) au conflit, plus large, autour de la loi El Khomri. Instaurer un climat généralisé de lutte sociale pour déstabiliser le pays et faire reculer le gouvernement socialiste, voilà l’idée.

Combien de temps le gouvernement Valls tiendra-t-il ? Cela dépendra notamment de la mesure dans laquelle lycéens et étudiants, mais aussi le mouvement Nuit debout, se laisseront entraîner par les syndicats. Mais aussi de la stratégie électorale de François Hollande en vue de la présidentielle : atténuer les conflits en renégociant la loi et ainsi tenter de mobiliser une partie de l’électorat de gauche, ou bien passer en force et tout miser sur une hypothétique relance de l’économie et une baisse du chômage ?


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