Festival : Mai flamencophile au Luxembourg (1/3)

Pour cette première interview consacrée au Flamenco Festival Esch, le woxx s’est entretenu avec Melchora Ortega et David Lagos, depuis Jerez de la Frontera.

Melchora Ortega et David Lagos. (Photo : Félix Vázquez)

woxx : Melchora Ortega, le 14 mai 2009, vous avez présenté votre spectacle « Cantaora » au Flamenco Festival Esch. Quelle évolution de votre biographie professionnelle souligneriez-vous ?


Melchora Ortega : Je suis née pour chanter et je me sens libre sur scène. Je tiens à souligner les deux spectacles que j’ai présentés au festival de Jerez, « La Memole y su combo flamenco », en 2017, et « Flamencas de película », en 2021, tous les deux dirigés par Paco López.

En tant que femme, quelle est votre contribution au flamenco jusqu’à présent ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?


Dans l’histoire du flamenco, les cantaoras de Jerez sont nombreuses. Certaines ont connu des difficultés liées à leur genre et à leur époque. Je me sens privilégiée de pouvoir faire ce que j’aime et suis toujours prête à apporter ma contribution à la lutte des femmes. Je bois à toutes les sources qui sont à ma portée, et il y en a beaucoup. Je suis « siguiriyera » et j’adore des cantaores comme Agujetas. Mais surtout, je bois et j’apprends lors de fêtes et de rencontres flamenco, pas sur YouTube ! (Rires.)

Qu’est-ce qu’« Emparejados » ?


David Lagos : En couple, deux. C’est un jeu de mots qui définit notre relation personnelle et professionnelle (en espagnol, le mot « pareja » signifie couple et partenaire, ndlr). C’est une rencontre entre deux façons de voir le chant flamenco, bien qu’influencées l’une par l’autre, chacune avec sa propre perspective : Melchora plus sauvage, David plus versatile, toutes deux complémentaires.

Le 18 mai, à la Kulturfabrik, accompagnés par la guitare d’Alfredo Lagos et le saxophone de Juan M. Jiménez, David Lagos et Melchora Ortega nous offriront « Emparejados ».

MO : Deux façons différentes d’interpréter le cante qui coexistent, s’aiment et se respectent.

David Lagos, en 2014 vous avez remporté le prestigieux prix Lámpara Minera et en 2022 vous avez reçu le Prix andalou du flamenco d’aujourd’hui. Depuis un moment, comme le prouvent vos enregistrements, votre voix rejoint celle d’artistes d’autres disciplines et styles pour dénoncer les injustices et exiger la reconnaissance des droits. Que pouvez-vous nous dire sur le contenu et les textes de votre dernier album ?


DL : L’arrière-plan de mon dernier album est axé sur une cause plus importante que le spectacle lui-même. Il s’agit de dénoncer ce que je considère comme des injustices. Certaines datent d’un passé récent, d’autres sont toujours en vigueur, bien que la société refuse de les voir, comme l’homophobie, par exemple. D’autres cantaores, comme José Menese – sur des paroles de Francisco Moreno Galván – ou El Cabrero, m’ont précédé dans la dénonciation des injustices sociales. Ma dernière œuvre, « Cantes del Silencio » (« Chants du silence »), parle des épisodes dont on détourne le regard, que nous préférons passer sous silence. D’où son nom. Avec l’aide de l’historien de Jerez Miguel González, j’ai voulu rendre un petit hommage à la mémoire démocratique.

Que pensez-vous de la prolifération, voire de la normalisation de l’utilisation de la musique électronique dans le flamenco, ou vice versa ?


DL : Lorsque j’ai abordé la musique électronique, c’était main dans la main avec Daniel Muñoz. À nous deux, nous avons créé « Hodierno », mon œuvre précédente. Pour moi, tout ce qui fait grandir un artiste est bienvenu. Le flamenco a la particularité de coexister avec d’autres disciplines musicales et d’en sortir toujours la tête haute. Je pense que l’essentiel est de connaître les fondements. À partir de là, on peut développer son propre discours.

David Lagos au chant, accompagné de Juan M. Jiménez et Alfredo Lagos, dans « Hodierno ». (Photo : Mauri Buhigas)

David Lagos, vous connaissez 
bien la scène luxembourgeoise : 
à la Kulturfabrik, vous avez accompagné Melchora Ortega, en 2009 ; en 2010, Pastora Galván ; en 2018, toujours à l’ancien abattoir eschois, vous étiez avec votre frère, le guitariste Alfredo Lagos, et la danseuse Gema Moneo. Au Grand Théâtre, nous vous avons écouté avec les compagnies de Mercedes Ruiz et d’Israel Galván… Le lendemain d’« Emparejados », vous serez à l’Escher Theater avec David Coria, en tant que coauteur de « ¡Fandango! ». Qu’est-ce que raconte ce spectacle ?


DL : « ¡Fandango! » est un premier pas vers la dénonciation que je mentionnais tout à l’heure. C’est une réflexion sur la façon dont nous sommes perçus de l’extérieur et sur la façon dont nous nous percevons nous-mêmes, en tant qu’Espagnols. Des thèmes comme la sieste, le machisme, la fête, la tauromachie… « Hodierno », c’est la bande sonore. David Coria a fait de chacun des numéros une chorégraphie qui transmet parfaitement l’idée que nous voulions exprimer. Il a magnifié chacun des thèmes. Le résultat est un travail dont nous sommes très fiers et qui nous a permis d’entreprendre un voyage ensemble.

Pendant plus de deux ans, il n’y a pas eu de cours, de spectacles ou de répétitions de la manière habituelle et dans les lieux habituels. Désormais, nous semblons avoir retrouvé la normalité, mais a-t-on perdu quelque chose ? Est-ce que l’art, le flamenco en particulier, a tiré quelque chose de positif de cette longue période d’isolement ?


DL : De nombreux artistes ont profité de l’enfermement pour créer de nouvelles œuvres, peut-être depuis différentes perspectives, car l’art reflète toujours l’époque dans laquelle nous vivons. La pandémie a montré que l’art est un outil très puissant pour faire face au malheur. Néanmoins, il est dommage que nous ayons la mémoire courte et que la culture occupe à nouveau une place très modeste dans nos priorités.

MO : Pendant la pandémie, on a beaucoup utilisé le streaming pour les cours et même les spectacles. Cela restera, même si je pense que la transmission orale est très importante pour le flamenco et qu’elle ne doit pas disparaître. Ce que nous avons le plus développé pendant cette période, c’est la créativité.

Le mot de la fin ?


DL : J’ai hâte de revenir. Merci de nous accueillir chez vous.

MO : On vit mieux en chantant.

Plus de renseignements :
kulturfabrik.lu/news/flamencofestival-esch-2023
theatre.esch.lu

Du 16 au 27 mai se déroulera la 16e édition du Flamenco Festival Esch, coorganisé par le Círculo Cultural 
Antonio Machado, la Kulturfabrik, 
l’Escher Theater et la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg. Nous avons parlé avec quatre des artistes qui s’y produiront, dans les spectacles 
« Emparejados », « ¡Fandango! », 
« Tarab » et « Burdina/Hierro ».


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