Samedi, une fusillade a fait cinq blessés à Villerupt, sur fond de trafic de drogue. Face à des inégalités sociales croissantes liées à l’afflux de frontaliers-ères, la commune meurthe-et-mosellane se sent abandonnée aussi bien par l’État français que par le Luxembourg, auquel elle demande de contribuer financièrement à son développement.
Cinq blessé-es dont trois grièvement : Villerupt a été le théâtre d’un drame d’une rare violence samedi en fin d’après-midi, quand un individu cagoulé a ouvert le feu sur quatre hommes, près d’un point de deal connu dans le centre-ville. Le pronostic vital est engagé pour deux d’entre eux, tandis qu’une passante a été touchée au bras. Pour les autorités, il s’agit d’un règlement de compte lié au trafic de stupéfiants, mais rien ne permet de dire à ce stade si les victimes, dont un mineur luxembourgeois de 16 ans, n’étaient pas juste un groupe « d’amis qui discutaient », selon les mots du maire de la ville de 10.000 habitants.
La semaine dernière, le woxx publiait un article sur la rétrocession fiscale que les communes frontalières françaises et allemandes demandent au Luxembourg pour contribuer aux dépenses de services publics engendrées par l’afflux de frontaliers-ères employé-es au grand-duché. Pierre Spizak, maire de Villerupt depuis 2020, y dressait la liste des investissements que sa ville devrait consentir pour l’accueil de cette nouvelle population. L’élu communiste de 35 ans pointait les inégalités sociales qu’entraîne cette situation du fait de rémunérations plus élevées au grand-duché, notamment sur le prix du logement dans cette ville voisine d’Esch-sur-Alzette. Et puis, disait-il, il y a des effets plus pervers : l’émergence de marchands de sommeil, l’installation de points de deal au centre-ville et l’apparition de la prostitution.
À quoi bon tout cet argent s’il n’y a pas la volonté ou le courage d’en assurer un meilleur partage, dans l’intérêt général ?
Évidemment, la drogue n’a pas attendu le phénomène frontalier pour arriver à Villerupt. Et il serait malhonnête de rejeter les causes de cette tragédie sur le seul refus du Luxembourg de partager avec ses voisins la richesse produite par les frontaliers-ères. La responsabilité incombe d’abord au gouvernement français et à sa politique de destruction des services publics. Depuis trois ans, les élus de Villerupt se battent pour le maintien de leur commissariat et une augmentation de ses effectifs, revendications dont la pertinence n’est donc plus à démontrer. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, qui s’y était rendu en mars 2021, n’a pas respecté les promesses alors faites aux élu-es.
Mais à Villerupt, le constat est plus ou moins unanime : la présence de dealers a augmenté avec l’arrivée d’une population au pouvoir d’achat confortable. Les prix du cannabis et de la cocaïne sont inscrits en gros sur un mur près du porche où s’est déroulée la fusillade. Les voitures s’y arrêtent quelques secondes, le temps de la transaction, et elles sont parfois immatriculées au Luxembourg.
Le modèle luxembourgeois génère des inégalités croissantes, autour de ses frontières mais aussi sur son propre territoire, où une personne sur cinq est désormais confrontée à la pauvreté. Financiers et gouvernement se targuent des milliers de milliards d’euros d’actifs logés dans les fonds d’investissement, les banques et l’inépuisable liste des holdings boîtes aux lettres. Mais à quoi bon tout cet argent s’il n’y a pas la volonté ou le courage d’en assurer un meilleur partage, dans l’intérêt général, à même de réduire des inégalités aux funestes conséquences ? Il y avait dès lors quelque chose d’indécent à voir le pays décrocher, lundi 15 mai, son énième triple A pour la bonne tenue de ses deniers publics et de son économie. Mais les agences ne notent pas les performances sociales d’un pays. Si tel était le cas, le Luxembourg n’en sortirait pas grandi.