Le Luxembourg demeure une destination de choix pour les multinationales qui veulent échapper aux impôts, selon le « Rapport mondial sur l’évasion fiscale 2024 ».
Avec 49 milliards de dollars transférés en 2020 vers des filiales au Luxembourg, le grand-duché occupe la cinquième position dans la liste des paradis fiscaux préférés des multinationales. Cela représente un peu moins de 5 % des quelque 1.000 milliards de dollars de profits délocalisés chaque année par de grands groupes vers des juridictions à fiscalité avantageuse, selon les données compilées dans un rapport de l’Observatoire européen de la fiscalité, publié le 22 octobre. Le transfert de bénéfices vers les paradis fiscaux y est défini comme « le processus par lequel les entreprises multinationales enregistrent des bénéfices dans des pays à fiscalité relativement faible, au-delà de ce qui relève de leur activité réelle dans ces pays ».
Quelque « 35 % de l’ensemble des bénéfices enregistrés par les entreprises multinationales en dehors de leur pays d’origine » sont transférés vers des paradis fiscaux, indique le « Rapport mondial sur l’évasion fiscale 2024 ». Présenté comme une collaboration sans précédent sur le sujet, ce rapport synthétise le travail de plus de 100 chercheurs et chercheuses et a été notamment coordonné par l’économiste français Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité. Il explore les principales failles permettant aux multinationales et aux grandes fortunes de contourner les impôts. Il propose aussi des solutions, comme une imposition accrue des 3.000 milliardaires recensé-es dans le monde et dont « les taux d’imposition effectifs vont de 0 à 0,5 % de leur patrimoine ».
Le transfert des bénéfices est l’une des stratégies employées par les grands groupes pour réduire leur facture fiscale sur les profits effectués à l’étranger. Il s’agit des « bénéfices réalisés par Apple en dehors des États-Unis, par BMW en dehors de l’Allemagne, par Toyota en dehors du Japon », illustre le rapport. Les techniques mises en œuvre sont notamment basées sur des échanges intragroupe dans lesquels une filiale établie dans un pays à fiscalité normale achète des services ou contracte des emprunts à des prix artificiellement élevés auprès de filiales domiciliées dans des paradis fiscaux. Un autre stratagème est de localiser dans les paradis fiscaux brevets, marques ou logos, dont l’usage est ensuite surfacturé aux filiales domiciliées dans d’autres juridictions.
Des Européens pillent les… Européens
Depuis 1975, le transfert des bénéfices « a explosé et reste à un niveau élevé », déplorent les auteurs de l’étude. Les multiples scandales de ces dernières années qui, à l’image des LuxLeaks, ont révélé les cadeaux fiscaux dont bénéficient les multinationales n’ont rien changé à l’affaire : « En 2015, l’OCDE a lancé le projet de l’érosion de la base et du transfert de bénéfices (BEPS), et en 2017, les États-Unis ont introduit des mesures pour réduire le transfert de bénéfices par les entreprises multinationales américaines. Pourtant, (…) l’étendue du transfert mondial de bénéfices semble n’avoir que peu changé. »
À ce jeu, les multinationales américaines sont les plus voraces, puisque « responsables d’environ 40 % du transfert de bénéfices à l’échelle mondiale ». La première à y perdre est l’Union européenne, avance le rapport, sans davantage de précisions. Il liste treize pays parmi les principaux bénéficiaires des transferts. Cinq sont situés en Europe, dont trois occupent les premières marches du podium. Les Pays-Bas confirment leur pole position de paradis fiscal préféré des multinationales (180 milliards de dollars transférés en 2020). Ils sont suivis par l’Irlande, avec 145 milliards. En troisième position vient la Suisse (83 milliards) et en quatrième, une destination plus exotique, les îles Vierges britanniques (83 milliards). Le Luxembourg est donc cinquième et, à noter, la Belgique pointe à la dixième place du classement. Les autres paradis fiscaux pour multinationales sont situés dans les zones Amérique (Porto Rico, Panama, îles Caïmans, Bermudes) et Asie (Singapour, Hong Kong, Macao).
Ce n’est pas le moindre paradoxe de voir que ce sont des membres de l’Union européenne qui, avant tout, pillent les recettes fiscales de leurs partenaires européens, alors que les budgets nationaux et communautaires sont mis sous pression par l’enchaînement des crises. Aucune fatalité à cela, l’Observatoire européen de la fiscalité rappelant que « l’évasion fiscale n’est pas une loi de la nature, mais un choix politique ».