L’intrigant « Gutland », du jeune metteur en scène Govinda Van Maele, réussit là où tant d’autres productions luxembourgeoises ont échoué : mélanger la couleur locale à une intrigue originale et inquiétante.
Dans un patelin luxembourgeois imaginaire, à Schandelsmillen, un jour d’été apparaît un étranger. Un Allemand qui se donne le nom de Jens Fauser (peut-être une référence à l’écrivain Jörg Fauser, auteur de nombreux polars à succès) cherche un emploi saisonnier auprès des agriculteurs du coin. Rapidement, il est assigné à la famille Kleyer et commence à s’intégrer dans cette communauté soudée par les traditions et… un secret.
Malgré, ou peut-être à cause de sa dégaine de troglodyte (cheveux longs, barbe mal rasée et énorme pif au milieu du visage), Jens s’attire les faveurs de Lucy, la fille du bourgmestre et mère d’un enfant. Alors que les journées pastorales s’écoulent doucement et que le nouveau venu se découvre même un talent de trompettiste, les démons du passé commencent à ressurgir. D’abord ceux de Jens, qui n’est pas vraiment un saisonnier dévoué, mais un ex-taulard en fuite après le braquage d’un casino en Allemagne. Vu que c’est lui qui a le butin, ses camarades ne tarderont pas à lui rendre une visite surprise. Et puis ceux du village aussi : un soir, Jens suit Lucy en douce jusqu’à une mystérieuse maison abandonnée. Une maison qui recèle une histoire qui hante toute la communauté. Après qu’il y aura pénétré, la vie de Jens va changer à tout jamais.
Quand un film luxembourgeois comme « Gutland » est hypé des semaines à l’avance par un flot interminable de communiqués de presse, de critiques bienveillantes et de campagnes sur les réseaux sociaux, on a tendance à rester un peu réticent en allant le voir – au vu des tant de fois où la marchandise ne correspondait pas vraiment à la publicité. Pourtant, le pari de Govinda Van Maele est plus que réussi : mettre en place une constellation crédible avec de multiples possibilités pour faire diverger la narration, et puis prendre un chemin pour le moins inattendu. L’induction en erreur du spectateur est une des disciplines les plus difficiles du septième art, et très souvent elle ne fonctionne pas. Mais quand elle marche – comme dans certains films de Hitchcock ou encore dans « The Sixth Sense » de M. Night Shyamalan –, elle rend le film inoubliable.
Et encore, Van Maele n’y va pas avec de gros moyens. Tout au contraire, il instille le doute par petites touches, qu’il distribue un peu partout dans le film. Une petite phrase glissée dans un dialogue, un certain angle de caméra ou encore une coupe pas si innocente qu’elle en a l’air, tout cela contribue à cette subtile atmosphère qui s’installe peu à peu à Schandelsmillen avant que tout ne bascule. Bref, c’est aussi un film qu’on peut aller voir une deuxième fois pour récolter les indices qu’on avait ignorés à la première vision.
Une telle réussite ne va pas sans se doter de moyens en conséquence, en l’occurrence un excellent casting. Frederick Lau, qu’on a déjà pu apprécier dans « Der Hauptmann » il y a quelques semaines, campe un protagoniste plus que crédible, justement parce qu’il semble souvent incrédule par rapport à ce qui se passe dans son environnement. Ce qui lui permet d’attirer le spectateur dans l’intrigue et de la vivre avec lui. La désormais incontournable Vicky Krieps sait tout aussi bien enchanter, avec son personnage qui vire de fille légère à quelque chose de tout à fait différent. Finalement, Marco Lorenzini en paysan d’allure simplette mais à double fond est aussi un régal à voir. Ajoutez-y une belle photographie et un maniement très intelligent, et donc pas forcément innocent, de la caméra… et vous avez un film luxembourgeois qui va rester dans les annales. Si vous voulez en savoir plus sur le metteur en scène, lisez notre interview en page 8 de la section Regards de ce numéro.
Aux Kinepolis Belval et Kirchberg et à l’Utopia. Tous les horaires sur le site.
L’évaluation du woxx : XXX