Hongrie : Les migrants, cibles commodes

Cinq ans après la fermeture de la Hongrie aux réfugiés, le premier ministre magyar continue d’instrumentaliser la peur de l’étranger afin de mobiliser sa base et maintenir son emprise sur le pays.

La pandémie de Covid-19 sert d’argument au premier ministre hongrois Viktor Orbán, ici à la réunion du groupe de Visegrad le 11 septembre, pour justifier sa politique antiréfugiés. (Photo : EPA-EFE/Jacek Szydlowski)

Röszke, été 2015. Dans la nuit du 14 au 15 septembre, sous les yeux des journalistes du monde entier, un policier barricade le dernier point de passage non officiel entre la Hongrie et la Serbie où des milliers de migrants transitaient quotidiennement puis poursuivaient leur chemin vers l’ouest de l’Europe. Dix jours plus tôt, des milliers de réfugiés partis de la gare ferroviaire internationale de Keleti empruntaient l’autoroute M1 Budapest-Vienne à pied, avant que des bus ne les récupèrent pour les emmener vers l’Autriche puis l’Allemagne, à l’annonce de l’ouverture du pays aux migrants par la chancelière Merkel.

Désormais, de Kübekháza, à la lisière de la Croatie, une double clôture électrifiée de quatre mètres de haut, parsemée de miradors, serpente sur les 175 kilomètres de la démarcation serbo-magyare. Depuis juin, le premier ministre Viktor Orbán ne laisse plus entrer de nouveaux migrants légalement aux frontières. Les demandeurs d’asile doivent déposer leurs dossiers au sein des ambassades des pays voisins. Les requérants libérés fin mai des zones de transit barbelées de Tompa et de Röszke, camps aux conditions de détention condamnées par la Cour de justice de l’Union européenne, ont déserté la Hongrie depuis.

« Ces cinq dernières années, la Hongrie a non seulement privé juridiquement et physiquement des réfugiés de protection internationale, mais aussi retourné une large part de la société magyare contre eux via d’intenses campagnes de haine », explique Áron Demeter, d’Amnesty International Hongrie. « Malgré le verdict de la Cour de justice de l’Union européenne, la Hongrie persiste et signe, en mettant en place un système encore plus strict, qui renie toutes les conventions continentales et internationales. L’UE ne peut pas ou ne semble pas vraiment vouloir agir face à la situation hongroise », tacle Demeter.

« Aversion puissante »

En mai 2015, quelques mois après l’attentat de « Charlie Hebdo », d’imposantes affiches accompagnant une consultation nationale qui liait l’immigration au terrorisme intimaient aux migrants de respecter la culture magyare et de ne pas prendre les emplois des Hongrois. En novembre 2016, l’exécutif organisait un référendum sur les quotas, invalidé faute de participation suffisante, mais idéal pour mobiliser sa base. En octobre 2017, un questionnaire sur le « plan Soros » accusait le milliardaire américano-magyar, ex-mécène d’Orbán, de vouloir faire entrer un million de migrants par an en Europe.

Enfin, en juin 2020, au détour d’une nouvelle consultation nationale, cette fois-ci sur la lutte face au coronavirus, le gouvernement demandait aux huit millions d’électeurs magyars leur avis concernant le maintien ou non de la fermeté anti-immigration et d’une protection stricte de la frontière méridionale. Objectif ? Entretenir la peur de l’étranger arrivant de loin, dans une opinion publique choquée par les images de Keleti, particulièrement en province, tout en mettant l’accent sur l’omniprésence du danger terroriste, interprété comme l’une des principales conséquences de la « Wilkommenskultur » allemande.

« La crise des réfugiés de 2015 a surpris la société hongroise, qui n’avait jamais vécu de tel phénomène. Les messages du gouvernement, placardés dans tout le pays, sont parvenus jusque dans chaque foyer avec l’aide des médias propouvoir et de l’audiovisuel public », pointe le politologue Dániel Mikecz de l’institut Republikon. « Dans une société incapable de digérer le traumatisme du traité de Trianon et de la perte des deux tiers du territoire en 1920, l’aversion envers les étrangers et l’immigration reste puissante. Les campagnes menées depuis cinq ans ont accentué cette attitude », décortique l’analyste.

Réfugiés = coronavirus

Aux prémices du coronavirus, Orbán invoqua l’épidémie comme motif pour suspendre indéfiniment les demandes d’asile et fermer les zones de transit, en accusant les migrants de véhiculer la Covid-19. « Nous voyons un certain lien entre le coronavirus et l’immigration illégale », déclarait début mars son conseiller à la sécurité György Bakondi, assumant volontiers l’amalgame entre réfugiés et risque sanitaire. Cet automne, comme au printemps, la Hongrie refuse l’accès aux étrangers non résidents, auxquels Budapest impute l’importation de la maladie, qui bat des records de cas quotidiens en terre magyare.

Au début de l’été 2015, des passants donnaient couvertures et sacs de couchage aux centaines de naufragés de Keleti massés sur le parvis de la gare. Médecins et associatifs offraient soins et repas afin qu’ils tiennent le coup en attendant des trains vers l’Ouest. Un camp temporaire était même envisagé, jusqu’à ce que la municipalité, alors pro-Orbán, abandonne le projet. En quelques mois, le discours hostile du gouvernement s’imprima dans la société magyare, approuvant majoritairement la sévérité de l’exécutif, selon les sondages trimestriels du think tank Nézöpont Intézet, identifié à droite.

« La fermeture de la frontière en 2015 était courageuse, car très critiquée à Bruxelles et par l’opinion mainstream de gauche. Mais depuis, les dirigeants de l’Union européenne prennent au sérieux le point de vue de la Hongrie », salue Sámuel Mráz Ágoston, directeur du centre de réflexion, qui suit la ligne officielle. « Les détracteurs occidentaux de la Hongrie affirment que le blocus frontalier magyar est inhumain, mais les tensions en Allemagne ou en Suède, les quatre millions de réfugiés massés dans un camp turc, les noyades dans la Méditerranée ou le camp de Moria le sont bien moins à leurs yeux », dénonce-t-il.

La Hongrie s’avère pourtant loin de l’exemplarité en matière de traitement des demandeurs d’asile. Des familles avec de jeunes enfants ont vécu des semaines, voire de longs mois dans des conditions carcérales qui n’ont pris fin qu’après la décision du gouvernement magyar de se conformer au verdict de la Cour de justice de l’Union européenne en vidant les zones de transit. Pis, comme le rapporte l’ONG Comité Helsinki, témoignages à l’appui, les autorités auraient volontairement privé de nourriture gratuite des dizaines de réfugiés dont les dossiers n’obtenaient pas l’aval des services de l’immigration.

Pressions fiscales et pénales

Le « mur » censé protéger les Hongrois n’a pas su retenir les quelque 300.000 concitoyens de Viktor Orbán partis chercher fortune ailleurs depuis l’arrivée aux responsabilités du conservateur en 2010. Points de chute privilégiés : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Autriche, la Suisse, l’Espagne et l’Italie. Deux décennies auparavant, des milliers de déplacés arrivant de Voïvodine − tout comme le million de réfugiés qui remonta la route des Balkans rien qu’en 2015 − pénétraient en Hongrie par le camp de Kübekháza, où la clôture antimigrants s’arrête près d’un poste-frontière serbo-magyar flambant neuf.

« Durant les guerres de Yougoslavie, la Hongrie avait construit un système d’accueil efficace pour les dizaines de milliers de réfugiés débarquant du Sud. Le gouvernement Orbán l’a détruit pour des raisons politiques, intimidant des bénévoles et instaurant des dispositifs fiscaux et pénaux qui ont contraint des associations à cesser leurs activités », commente András Siewert, responsable de l’ONG Migration Aid. « Le mot ‘réfugié’ n’a plus sa place dans la communication gouvernementale. Il est uniquement question de ‘migrants illégaux’ devant être éloignés du pays par tous les moyens », assène Siewert.

« Système sélectif »

Le 15 septembre 2015, le gouvernement de Viktor Orbán mettait ses menaces à exécution en scellant la frontière serbo-magyare. Aujourd’hui, à l’automne 2020, la Hongrie est plus que jamais verrouillée aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Des « chasseurs frontaliers » patrouillent 24 heures sur 24 avec policiers et militaires entre les deux couches de clôture. Les forces de l’ordre, utilisant l’état d’urgence migratoire décrété au point culminant de la crise et toujours en vigueur dans les régions limitrophes, n’hésitent pas à violenter les rares personnes osant encore la traversée qu’elles parviennent à intercepter.

Mercredi prochain, cinq ans après une réunion urgente des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne censée esquisser un mécanisme de solidarité, la Commission européenne annoncera un pacte sur l’asile et l’immigration. Une initiative qui semble déjà bien insuffisante, alors que des milliers de migrants, frappés par l’incendie du plus grand camp d’Europe sur l’île de Lesbos, se retrouvent complètement démunis avec un accès à l’eau et aux soins fortement restreint. Pendant ce temps-là, Orbán continue de jouer au rempart de l’espace Schengen, sauf pour certaines catégories spécifiques.

« Le gouvernement magyar s’est détourné des règlements et des principes fondamentaux de l’ONU et de l’UE en matière migratoire afin de construire un système alternatif puissamment sélectif, favorisant notamment la relocalisation des Vénézuéliens aux racines hongroises et des chrétiens oppressés », développe András Kováts, directeur de l’association Menedék, qui œuvre à l’intégration des réfugiés. « L’exécutif s’est appliqué à compliquer le travail des ONG. Aujourd’hui, en Hongrie, officier auprès de réfugiés et de migrants est devenu un acte beaucoup plus politique qu’il y a cinq ans », conclut Kováts.


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