Idylles symphoniques

Il n’était certes pas annoncé comme représentation de Saint-Valentin, mais le concert donné par l’OPL vendredi 15 février a fait la part belle aux histoires d’amour, avec une excellente prestation vocale d’Anja Harteros. Pour célébrer son retour après plusieurs mois, le directeur musical Gustavo Gimeno avait également programmé la « Symphonie en ré mineur » de César Franck. Compte rendu en mots sur des notes très romantiques.

Photos : Alfonso Salgueiro

C’est dans une Philharmonie pas complètement remplie que retentit le premier accord. Plutôt que de mettre en cause le programme, original mais pourtant pas téméraire pour le goût souvent classique du public, on blâmera le début des vacances scolaires, qui pour beaucoup signifient un départ tant attendu aux sports d’hiver. Tant mieux pour celles et ceux qui voient dans le ski un asservissement de la montagne : le spectacle était à la hauteur des plus hauts sommets, enneigés ou pas.

Car le premier accord, c’est celui de la pièce « Im Sommerwind » d’Anton Webern. Une œuvre que le Viennois compose dans une veine romantique, à l’âge d’à peine 20 ans ; une « idylle pour grand orchestre » sur un poème de Bruno Wille qu’il effacera de sa production musicale en ne lui donnant pas de numéro d’opus. Elle ne sera créée qu’en 1980, 35 ans après sa mort. On est là bien loin de ses partitions modernistes postérieures, évidemment. Mais le chatoiement de l’orchestre, les mélodies suaves que chacun des pupitres peut tour à tour déployer, la structure narrative aux accents amoureux, tout dans cette partition fête l’amour dans toutes ses phases. Un choix judicieux donc pour un lendemain de Saint-Valentin, d’autant que l’orchestre joue de façon très fluide, sous une baguette souriante et parfois, oserait-on dire, extatique. Gustavo Gimeno est de retour, et on sent qu’il a plaisir à conduire la première formation dont il a assuré la direction musicale.

Après cette entrée en matière étonnante, le romantisme toujours avec les « Wesendonck-Lieder » de Richard Wagner. Dans cette œuvre également, la poésie est à l’origine de la musique. Mais cette fois, les vers sont chantés plutôt que confiés à des instruments seuls. Wagner a écrit ces lieder sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, avec qui il a eu une brève liaison vouée à l’échec, puisqu’elle était la femme de son mécène de l’époque. La poétesse s’est inspirée elle du livret de « Tristan und Isolde », tiré lui-même de l’amour du compositeur-librettiste pour elle : la boucle est bouclée. On le sent dans la musique, car elle préfigure évidemment l’opéra. Et dans cet exercice où tout est lié, où le cercle vertueux de l’intime appelle la discrétion plutôt que la brillance, Anja Harteros est magnifique.

Chaque mot est pesé avant d’être émis, chaque note a l’intensité nécessaire, suffisamment forte pour être entendue mais suffisamment chuchotée pour suggérer la discrétion d’un petit salon. Pas besoin de gestes théâtraux ni d’aigus virtuoses : la chanteuse embarque toutes et tous au son de sa voix, sans appuyer le trait, dans un maelstrom de sentiments – mais un maelstrom feutré. L’OPL sait se retenir devant la véritable star de cette première partie, largement applaudie comme il se doit.

Après la pause, c’est la « Symphonie en ré mineur » de César Franck qui attend le public déjà conquis par la soprano. Une symphonie peut-être moins jouée de nos jours qu’il y a quelques décennies, mais qui recèle une puissance certaine, à mi-chemin entre les traditions française et allemande. C’est aussi pour ça que Gustavo Gimeno l’a choisie, au vu de la composition actuelle et historique de l’orchestre. L’auteur de ces lignes doit confesser avoir écouté cette symphonie des dizaines de fois et la connaître encore quasi par cœur. C’est dire si les attentes étaient grandes. Et en toute transparence, le concert de midi du mardi était en partie décevant : une exécution plus rythmique que romantique notamment gênait l’audition, comme si la mise en place prenait le pas sur la musique.

Mais ce vendredi, lorsque la baguette s’abaisse pour donner la première entrée, tout va mieux : les violoncelles chantent vraiment, sous les gestes largement assouplis du chef. Et la musique coule, flotte, ondule ; les thèmes se succèdent, reviennent, se développent. Les cuivres, très à l’honneur, ponctuent de leurs chorals les mélodies des cordes, relayées par des bois au diapason, et notamment un très beau cor anglais sans lequel le deuxième mouvement ne pourrait pas faire impression. Oui, la symphonie de Franck peut déployer ses charmes. Alors certes, il y a bien quelques hésitations, mais l’essentiel est là et bien là : des instrumentistes qui jouent avec leurs tripes et propulsent cette musique puissante et émouvante dans tous les recoins de la Philharmonie. Un beau travail collectif que Gustavo Gimeno, tout sourire, récompense en offrant le traditionnel bouquet de fleurs au cor anglais, justement. Qu’il est difficile de quitter la salle, ce soir… mais le concert sera diffusé sur 100,7. Ne le manquez pas !


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