Italie: le M5S face aux limites du « ni de droite, ni de gauche »

Le Mouvement 5 étoiles, fondé par l’humoriste populiste Beppe Grillo, se heurte à son positionnement politique qui ne se voulait ni de droite, ni de gauche. Sous la férule de l’ancien premier ministre Giuseppe Conte, les membres du mouvement ont décidé de se ranger dans le « camp progressiste », tandis qu’au niveau européen, ils cherchent à s’allier au parti BSW de Sahra Wagenknecht, en Allemagne.

Giuseppe Conte en 2020, quand il était premier ministre

Giuseppe Conte en 2020, quand il était premier ministre. (Photo: gouvernement italien/Wikki Commons)

Le dimanche 8 décembre, les membres du Mouvement 5 étoiles (M5S) ont procédé à leur deuxième vote sur les modifications des statuts du parti, demandées par son « assemblée constituante », qui s’étaient tenues deux semaines plus tôt. Par ce processus, le M5S  tente de se renouveler après une phase politique marquée par des résultats électoraux décevants et une forte baisse du consensus au sein de ses rangs.

Parmi les modifications apportées au statut, la plus pertinente est l’abolition de la fonction de « garant » du parti, détenue par le fondateur Beppe Grillo depuis 2017. Le résultat a confirmé l’issue du premier vote qui avait eu lieu quinze jours plus tôt. Comme les statuts le permettent, Grillo en avait demandé la répétition dans l’espoir que le quorum ne soit pas atteint. Finalement, 65% des membres ont participé au scrutin et ils ont voté à 80% en faveur de la suppression de la fonction de « garant”.

Ce vote est intervenu après une longue période de désaccord entre Grillo et le chef du parti et ancien premier ministre, Giuseppe Conte, qui avait entamé un processus de reconstruction après une série de défaites électorales. Conte avait remis en cause certaines des valeurs fondatrices du M5S et le vote visait à se débarrasser de Grillo.

Les membres n’ont, en revanche, pas revoté sur l’autre grande question : l’abolition de la limite de deux mandats pour les élu·es du M5S, à laquelle ils avaient mis fin lors de « l’assemblée constituante ». Depuis sa fondation en 2007, le mouvement avait imposé à ses membres élu·es à des fonctions publiques, du parlement aux conseils municipaux, de ne pas effectuer plus de deux mandats. Il s’agissait ainsi d’empêcher les élu·es de faire de la politique une profession, conformément aux aspirations fortement populistes du parti. Au fil des ans, cela a toutefois entraîné d’énormes problèmes de renouvellement de la classe politique du M5S, qui a perdu bon nombre de ses dirigeants les plus connus.

Le « chemin de la régénération »

Les relations entre Conte et Grillo sont tendues depuis le début. Grillo a toujours vu d’un mauvais œil le consensus croissant dont fait l’objet Conte parmi les militant·es du M5S, et son mauvais résultat aux élections européennes du mois de juin a précipité la situation. Pour la première fois, le parti a obtenu moins de 10 % des voix et a été relégué à un rôle mineur au sein du centre-gauche. Lors d’une représentation théâtrale, Grillo s’était moqué de Conte en raillant qu’il avait obtenu moins de voix que Silvio Berlusconi mort. Peu après, Conte a entamé le « chemin de la régénération » pour relancer le M5S, qui a abouti à l’assemblée constituante et au vote du 8 décembre.

Le parti a longtemps été incertain sur plusieurs fronts, à commencer par les alliances. L’assemblée a levé une ambiguïté qui durait depuis de nombreuses années, celle du positionnement politique du M5S, en décidant de le placer au centre-gauche. Parmi les questions qui portaient sur ce sujet, l’option qui a recueilli le plus de voix (36,7 %) était que le M5S se déclare comme une force de « progressistes indépendants ». Le texte voté ne tranche toutefois pas totalement la question, puisqu’il affirme que le M5S se situe « en opposition aux forces de droite », tout en se qualifiant de « force authentiquement démocratique et pacifiste, non-réductible aux seules forces de gauche plus traditionnelles ». Après ce résultat, Conte est néanmoins resté très vague, notamment sur l’opportunité de construire une alliance solide et incontournable avec le principal parti progressiste italien, le Partito Democratico. Conte doit aussi tenir compte des autres orientations qui se sont dégagées du vote en ligne, alors que 26,2% des électeurs inscrits ont proposé de ne pas déclarer de position politique.

Cette incertitude quant à la position des membres se reflète également au sein de la direction du M5S. Ces semaines de débat interne ont, en effet, été marquées par d’importants désaccords sur les alliances et le positionnement politique. La vice-présidente et ancienne maire de Turin Chiara Appendino s’est par exemple montrée perplexe sur un rapprochement avec le Partito Democratico et a nourri une polémique avec Conte sur ce sujet.

Pour leur part, Virginia Raggi (ancienne maire de Rome) et Danilo Toninelli (ancien ministre des Transports) ont également souhaité que le M5S reste « ni de droite ni de gauche ». Mais leur opposition à un ralliement explicite au centre-gauche s’explique aussi par leur soutien à Grillo contre Conte. De son côté, l’aile la plus à gauche, se réfère d’abord à Stefano Patuanelli, déjà deux fois ministre (de l’Agriculture et du Développement économique) et chef de groupe au sénat. Il demande depuis longtemps que le M5S affirme sa place dans le camp progressiste et, selon lui, le vote des députés doit être compris comme signifiant que le M5S ne peut plus faire d’autres alliances qu’avec des partis de centre-gauche.

Sur la même ligne que BSW

Dans ce scénario qui n’est pas tout à fait clair, Conte a jusqu’à présent agi de manière quelque peu énigmatique. Ce n’est que récemment qu’il a clairement indiqué sa volonté de se placer fermement dans le camp progressiste, allant même jusqu’à dire que si l’assemblée constituante avait donné des indications contraires, il aurait renoncé à diriger le parti. Conte pourrait être décrit comme un « progressiste modéré », qui a d’abord accepté de diriger un gouvernement de droite souverainiste et populiste (avec la Lega, entre 2018 et 2019), puis un gouvernement de centre-gauche (avec le Partito Democratico, entre 2019 et 2021).

Au Parlement européen, il a d’abord tenté de favoriser l’entrée du M5S dans le groupe libéral Renew Europe. Puis, il a longuement négocié avec le groupe des socialistes européens, dans lequel siège aussi le Partito Democratico. Face à l’échec des négociations, il a ensuite essayé avec les verts, toujours sans succès. Enfin, en juillet dernier, il a obtenu l’adhésion au groupe The Left, celui de la gauche radicale, en expliquant toutefois qu’il s’agit d’un essai de six mois, à l’issue duquel il sera décidé de la suite à donner. Lors d’une récente réunion avec des parlementaires, il a expliqué qu’il s’agissait d’un choix un peu forcé, et que de toute façon, on évaluera plus tard si ce sera vraiment la position définitive.

En somme, il s’est toujours montré plus pragmatique que Grillo, recherchant ponctuellement les alliances qui lui étaient les plus utiles, sans contraintes idéologiques majeures. De ce point de vue, la ligne politique que suivra désormais le M5S restreint le périmètre d’action de Conte au seul champ du centre-gauche. Là aussi, il faudra élaborer une ligne cohérente, ainsi qu’une stratégie d’alliance qui aille au-delà des convenances du moment. Sur ce point comme sur d’autres, Conte devra traiter avec les instances internes du M5S, mais c’est surtout la pratique quotidienne qui définira l’orientation réelle. Jusqu’à présent, le mouvement a mené une politique que l’on pourrait qualifier de gauche nationaliste. L’un des résultats les plus évidents des années passées par le M5S au gouvernement a été l’introduction du « revenu de citoyenneté ». L’Italie est l’un des rares pays européens à ne pas disposer d’un revenu minimum et le mouvement a été la première force politique à introduire une mesure similaire. Toutefois, pour l’obtenir, il fallait être de nationalité italienne ou, pour les étrangers-ères, avoir résidé en Italie depuis au moins 10 ans. Cette mesure a aidé de nombreuses familles à sortir de la pauvreté, selon Istat, l’institut national des statistiques. Mais elle a été immédiatement abolie par le gouvernement Meloni à son arrivée au pouvoir.

Lors de « l’assemblée constituante » du 24 novembre, l’Europe s’est également invitée dans les discussions à la faveur d’un échange entre Conte et Sarah Wagenknecht. Souvent qualifiée de « rouge-brune » notamment pour ses positions sur l’immigration et contre l’OTAN, la journaliste de 55 ans a été une membre éminente de la Linke, aujourd’hui en perte de vitesse. Aux élections régionales en Saxe et en Thuringe, il y a quelques mois, le Bündnis Sahra Wagenknecht (Bsw) a atteint des scores à deux chiffres, confirmant la montée en puissance d’un parti qui, selon les politologues, peut regrouper aussi bien des populistes de gauche que des gens de droite. Il a aujourd’hui consolidé ses liens avec le M5S, partageant avec lui une ligne presque identique sur l’Ukraine. Les deux partis ont, ces derniers mois, tenté de former un groupe au sein du Parlement européen. Le projet a capoté faute d’effectifs, ce qui a poussé le M5S à rejoindre The Left. Mais l’idée de créer un groupe commun reste à l’ordre du jour, tant pour le M5S que pour Sahra Wagenknecht.


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