Le nouveau film de Kathryn Bigelow, première femme à avoir décroché l’Oscar de la meilleure réalisatrice, nous fait traverser un tunnel à remonter le temps pour arriver rapidement aux émeutes de 1967 à Detroit, capitale de l’industrie automobile.
Le film est un drame en trois mouvements : de la naissance d’une révolte au procès final qui opposera la communauté afro-américaine aux forces de l’ordre, en passant par une nuit cauchemardesque qui n’en finit pas ! La stratégie obligeant le spectateur à aller des tripes à la réflexion et ainsi « créer une dynamique sociale » est-elle valable ? C’est en tout cas l’objectif de ce film, qui tente de provoquer une prise de conscience collective. Pour ce faire, la réalisatrice a donc décidé de s’attaquer à un des épisodes les plus sombres de la violence policière de Detroit. Dans une trame narrative qui se décline sous forme d’entonnoir, nous sombrons dans l’horreur en traversant une partie de la nuit dans l’Algiers Motel avec une poignée de jeunes accusés d’avoir tiré des coups de feu sur les patrouilles de la ville, plongée en état d’urgence. Des scènes de torture, d’humiliation et de meurtre basées sur la reconstitution de témoignages recueillis par Mark Boal, le scénariste, nous révèlent le visage d’une Amérique profondément clivée et meurtrie par des siècles d’hostilités ethniques. Si cette histoire n’a pas été racontée depuis cinquante ans, il paraît aujourd’hui, avec les positions troubles du président Trump, d’une nécessité urgente de s’en emparer, comme le soutient l’équipe du tournage.
Le scénario maintient le spectateur sous tension du début à la fin, avec un sentiment de malaise et de colère qui gronde. Il est ici question d’une expérience sensorielle immersive qui ressemble à un coup de poing. On se retrouve à l’image des personnages à l’écran, piégés, collés au mur, accusés, violentés, humiliés. Cette descente aux enfers voulue par la cinéaste cherche selon elle à éveiller de « l’empathie » chez celui qui subit en tant que témoin cette scène, où les mécanismes des ombres sadiques de l’humanité prennent forme. Nous suivons ce crescendo de violence quasiment en temps réel ainsi que cette tache de sang qui s’étend au fur et à mesure de la nuit. Dans ce mouvement d’horreur, on se demande sans cesse qui sera le prochain à subir les déchaînements de policiers rongés par le ressentiment, à l’instar de Krauss (Will Poulter), meneur de la meute déchaînée.
Ce long épisode nauséabond, chargé de symboles et dont la portée historique n’a jamais été vraiment analysée, permet d’interroger les mouvements internes du racisme et du goût pour la cruauté. Entre le thriller policier, le film d’horreur et le journalisme, les premières images tournées avec une caméra à l’épaule nous plongent dans la naissance d’une répression raciale qui anéantira Detroit et sa population. Cette troisième nuit des émeutes sera filmée avec une telle précision qu’elle devra être considérée comme un moment crucial de la ségrégation aux États-Unis. Ainsi, ce long métrage permet de rouvrir un procès qui n’a jamais vraiment eu lieu. C’est un devoir de mémoire à travers lequel Bigelow dénonce, au-delà des policiers assoiffés de meurtre dans une opération sinistre, l’absence « de progrès significatifs » en matière d’égalité raciale.
À travers les mouvements contestataires des Afro-Américains et de la guerre du Vietnam en arrière-plan, la réalisatrice vient encore une fois questionner l’attitude néocolonialiste et les fantômes des États-Unis. L’intégration de documents d’archives et le tissage qui se fait avec une actualité toujours aussi violente (le film est sorti aux États-Unis pendant les événements de Charlottesville), rappellent que « cette conversation est obligatoire ».
Allez donc voir ce film où de nombreuses questions sont soulevées, y compris celle de notre propre voyeurisme cinématographique et de notre degré de perversité. Faut-il voir les parts d’ombre de l’humain en face pour pouvoir réagir ?
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L’évaluation du woxx : XXX