Clément Girardot, correspondant du woxx, a été expulsé de Géorgie où il travaillait depuis dix ans et où il avait couvert ces derniers mois les manifestations contre la dérive autocratique du parti au pouvoir, le Rêve géorgien.
Le journaliste français Clément Girardot a été retenu à l’aéroport de Tbilissi, le 12 février dernier, alors qu’il revenait de France. Après une longue attente, il a été présenté à un officier de police qui lui a signifié son interdiction d’entrée sur le territoire géorgien, où il travaillait régulièrement depuis 10 ans. Le seul document qui lui a été remis pour justifier son refoulement indique la mention « autre cas ». Il a été contraint de regagner la France à bord de l’avion avec lequel il était arrivé. Malgré l’intervention d’un avocat géorgien et de l’ambassade de France, aucun motif ne lui a été communiqué sur les raisons de cette interdiction. Tandis que l’ombudsman géorgien a dénoncé de graves irrégularités et une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux, son recours auprès des autorités judiciaires géorgiennes a été rejeté et une audience en appel est prévue le 26 juin.
Clément Girardot couvrait le Caucase du Sud, les Balkans et la Turquie pour le woxx depuis 2019. Journaliste indépendant, il travaille pour de nombreux titres de la presse francophone et internationale, dont « Le Monde », « Society » ou encore Al Jazeera. Ces derniers mois, il avait particulièrement couvert les manifestations de l’opposition et de la société civile géorgiennes contre le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, après les élections législatives contestées du 26 octobre 2024. Il avait documenté la répression contre les opposant·es à un régime de plus en plus ouvertement pro-russe, suivant notamment leurs procès ou rendant compte des restrictions imposées aux milieux intellectuels et culturels.
L’expulsion de Géorgie de Clément Girardot a précédé celle du photojournaliste français Jérôme Chobeaux, interdit d’entrée le 30 mars. Il assurait également la couverture des manifestations de l’opposition. Avant son refoulement, il s’est vu infliger une amende de 5.000 laris (environ 1.650 euros) par les garde-frontières qui lui ont affirmé obéir à des ordres « venus d’en haut ».
« L’interdiction d’entrée visant ces deux journalistes français, connus pour leur travail de terrain sur les manifestations, s’inscrit dans une stratégie délibérée d’intimidation. Reporters sans frontières dénonce fermement ces refoulements abusifs, appelle le parti au pouvoir à respecter les engagements du pays en matière de liberté de la presse et la France et l’Union européenne à faire pression sur le gouvernement », a réagi Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières.
Une pluie d’amendes
Pour Clément Girardot, ces expulsions illustrent un changement d’attitude des autorités géorgiennes face aux médias. « Jusqu’à présent, on travaillait librement en Géorgie, sans s’enregistrer comme tel. Mais cela devient de plus en plus restrictif, ne serait-ce qu’en manifestation, où les journalistes sont désormais obligés de revêtir un gilet presse », témoigne-t-il auprès du woxx. Il évoque aussi les amendes qui s’abattent sur les journalistes locaux, citant l’exemple d’une photojournaliste géorgienne qui cumule l’équivalent de plus de 10.000 euros d’amendes. Clément Girardot souligne que cette répression touche l’ensemble des personnes qui manifestent pacifiquement contre le régime et constate qu’une résignation s’installe dans la population, tandis que les réactions européennes se font moins insistantes, permettant aux autorités de normaliser progressivement leur dérive autoritaire.
L’expulsion de Clément Girardot intervient alors que la liberté de la presse et le travail des journalistes fait face à des menaces croissantes dans le monde. Le cas de Gaza est emblématique de cette évolution tragique, près de 200 journalistes y ayant perdu la vie depuis le 7 octobre 2023. Ces 29 et 30 avril, une conférence annuelle internationale organisée sous l’égide du Conseil de l’Europe a réuni des journalistes et expert·es des médias à Luxembourg, afin d’examiner les problèmes liés à la poursuite des crimes contre les journalistes et d’étudier les moyens d’éviter que ces crimes ne restent impunis. Intitulé « Journalists Matter », l’événement s’appuyait notamment sur la plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil de l’Europe. Depuis 2015, celle-ci a publié plus de 2.000 alertes recensant des menaces graves à la liberté des médias, dont 42 cas d’impunité principalement liés à l’assassinat de journalistes.