L’interpellation du député populiste de droite Fernand Kartheiser au sujet de la liberté d’expression révèle à nouveau son penchant pour l’extrême droite. Au-delà de la polémique, le sujet reste sensible.
Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, la bataille pour ou contre le politiquement correct est un sujet récurrent ces dernières décennies. Et avec les mouvements d’extrême droite qui se sont approprié le rôle de défenseurs de la liberté d’expression pour mieux pouvoir porter leurs discours de haine dans la sphère publique et les rendre ainsi plus acceptables, ce conflit s’est aggravé. Au point où une discussion calme et pondérée semble désormais impossible – comme on l’a vu à la tribune du parlement mercredi.
Sans surprise, c’est le député populiste de droite Fernand Kartheiser qui s’est collé à la tâche, avec dans son sac une interpellation, un projet de motion et un billet de blog. Ce dernier démontre d’ailleurs que, hors le fait d’embrasser les stratégies de ses copains d’extrême droite européens (l’AfD allemande et le FN en tête), Kartheiser n’a pas peur du ridicule. Car pour l’ancien agent double, l’ennemi de la liberté est partout et porte un nom : la gauche. Selon le député ADR, tout le monde – les partis, la presse, des initiatives comme Bee Secure ou encore l’ECRI (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance – qu’il qualifie de compagnie de carnaval d’extrême gauche) – veut la peau des gens simples qui ne demandent que le droit de s’exprimer librement, par exemple pour souhaiter la mort par noyade de milliers de réfugiés sans avoir à craindre des poursuites judiciaires.
Gauchistes partout !
Kartheiser est même allé jusqu’à accuser la justice d’excès de zèle (puisque l’ECRI dans son dernier rapport avait félicité le Luxembourg de son application stricte des lois) lorsqu’il s’agit d’appels à la haine et à demander au ministre de la Justice Félix Braz d’intervenir pour calmer ses magistrats, décidément à la solde des Rouges. Ce qui a provoqué un réel agacement de Braz, qui a eu raison de retoquer cette proposition au nom de la séparation des pouvoirs – et de remarquer qu’en la formulant, l’ADR s’était « lui-même disqualifié ».
Quant à l’idée que la législation actuelle contre les appels à la haine raciale et autres délits qui pullulent dans les réseaux sociaux et dans les commentaires d’articles sur RTL serait contraire à la Constitution, qui exclut toute forme de censure, elle est non seulement perfide et grotesque, mais aussi peu originale. En d’autres mots, c’est une tactique employée par presque tout parti d’extrême droite qui se respecte. Mais il y a pire encore : le fait que Kartheiser ne cache même pas que, pour lui, la liberté d’expression est un phénomène à sens unique. On peut dénigrer l’islam, faire monter la peur des immigrés ou encore vivre pleinement son homophobie, mais gare à ceux qui osent critiquer les braves gens ! Dans son billet de blog mentionné plus haut, il a même établi un lexique des termes employés par les gauchistes (et sa définition est particulièrement large) pour discriminer la vaillante populace.
Cela étant dit, qui a observé la discussion suivant l’interpellation de notre Marine grand-ducale a aussi pu constater une certaine nervosité dans les rangs des autres partis. Certes, la motion de l’ADR a été rejetée, mais la sérénité n’était pas au rendez-vous dans les différentes interventions des députés. Peut-être parce qu’ils ont réalisé que ces tactiques venimeuses se sont aussi infiltrées dans la sphère publique luxembourgeoise et qu’il va falloir aiguiser le discours pour mieux les contrer, ainsi que réfléchir plus profondément aux questions de racisme et d’inégalités dans notre société ? En tout cas, la seule réponse pénale aux discours de haine ne suffira plus à l’avenir – il faudra bien encore d’autres arguments.