Luxleaks : Colin-maillard

La reprise du procès en appel du scandale Luxleaks a été marquée par la plaidoirie enflammée de Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet, qui a démonté la façon dont le Luxembourg traitait la fiscalité des multinationales en douce.

(Photo : woxx)

Le sort de Raphaël Halet (et d’Antoine Deltour) se joue sur une petite nuance. Il s’agit de savoir si les lanceurs d’alerte ont dénoncé un système illégal ou s’ils ont publié des documents sur une pratique certes immorale, mais tout à fait dans les règles. Si la Cour d’appel penche vers la première interprétation des faits, alors elle n’aura pas d’autre choix que d’acquitter les deux hommes.

Bien entendu, ce n’est pas la nature du tax ruling en soi qui est au cœur du débat – il est et reste un instrument fiscal reconnu -, mais la pratique luxembourgeoise en relation avec cet instrument. Une question qui d’ailleurs est apparue dès le déclenchement du scandale Luxleaks.

D’emblée, l’avocat constate que, depuis peu, les éléments de langage employés par le gouvernement luxembourgeois pour évoquer Luxleaks ont bien changé. En effet, ni le ministre des Finances ni ses porte-parole n’insistent plus sur le « tout était légal » – mais préfèrent renvoyer vers les efforts consentis par le grand-duché dans la lutte contre la fraude fiscale.

Nouveaux éléments de langage

Puis Colin se lance dans le grand démontage des pratiques fiscales luxembourgeoises. Il passe en revue les deux circulaires qui ont réglé la fiscalité des multinationales, toutes les deux déclarées comme des aides d’État illégales par la Commission européenne en octobre 2002. Il en conclut : « Le Luxembourg a été le seul pays européen à pratiquer les tax rulings sans base légale. » Pour mieux illustrer à quel point cette pratique des rulings a été illégale, il revient aussi sur la fameuse page manquante du « rapport Krecké » – sur laquelle il est écrit clairement qu’une telle pratique « n’existe pas dans notre législation fiscale » et où l’ancien député et ministre socialiste conseille au gouvernement de « suivre d’un peu plus près les ‘accords’ ainsi opérés ».

Un conseil que le gouvernement n’a pas choisi de prendre au sérieux, au vu des libertés dont disposait, au sein du fameux bureau numéro 6 de l’administration fiscale, le fonctionnaire Marius Kohl. C’est sur ce dernier que se focalise l’ire de l’avocat. Selon Colin, Kohl aurait fait « pire que ce qui était écrit dans les circulaires ». Le fait qu’il aurait laissé PWC travailler avec du papier à en-tête de son administration et confié à la firme le soin d’archiver les documents de tax rulings relèverait de la « corruption active ». Visiblement bien informé, l’avocat met aussi en cause l’expert fiscaliste, conseiller d’État et proche du gouvernement actuel Alain Steichen – une sorte de gourou de la fiscalité qui aurait guidé Marius Kohl et légitimé ses actes.

Pour prouver le bien-fondé de ses réflexions, Colin fait valoir que le Luxembourg ne s’est donné une base légale pour les tax rulings qu’après que le scandale Luxleaks a éclaté. Pire encore, le ministère des Finances a attendu jusqu’à décembre 2016 pour enfin régler une autre pratique (par le biais d’une circulaire, d’ailleurs versée au dossier par l’avocat d’Antoine Deltour au début de la séance), celle des prix de transferts, une autre trouvaille pour « optimiser » l’imposition dont les clients des « Big Four » sont friands. Pour l’avocat de Raphaël Halet, « les lanceurs d’alerte ont mis de l’ordre dans le système législatif au Luxembourg ». Une affirmation difficile à nier, vu que le vide juridique dans lequel opérait l’administration fiscale luxembourgeoise est un fait manifeste. Reste juste à voir si le président de la Cour d’appel Michel Reiffers se laissera tenter par l’équivalence entre vide juridique et pratique illégale. La suite et la fin du procès en appel – où les parties impliquées auront le droit de formuler leurs répliques – sont prévues pour lundi prochain.


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