Manifestation du 28 juin : convergence des luttes

Des mouvements de la société civile annoncent leur ralliement à la manifestation nationale du 28 juin, organisée par le front syndical LCGB-OGBL. D’abord centré sur la réforme des pensions, le rendez-vous se transforme en contestation globale de la politique du gouvernement de Luc Frieden. Et présage de nouvelles formes d’opposition.

Les délégué·es détaché·es de l’OGBL défilent dans les rues d’Esch-sur-Alzette, le 6 juin, pour promouvoir la manifestation prévue en fin de mois. (Photo : OGBL)

Que fera le front syndical uni le 9 juillet prochain ? Les responsables syndicaux auront-ils piscine ce jour-là ou répondront-ils à l’invitation de Luc Frieden à venir discuter avec le gouvernement et le patronat de la réforme des pensions ? Pour l’instant, LCGB et OGBL n’ont pas arrêté de position définitive, alors qu’ils exigent la convocation d’une tripartite pour lancer des négociations sur l’ensemble des dossiers sociaux les opposant au gouvernement : pensions, conventions collectives, horaires de travail dans le commerce, déficit de la caisse de maladie, salaire minimum… Les contentieux se superposent au fil des mois. Le gouvernement, de son côté, ne veut pas entendre parler de tripartite, estimant que cet instrument, qui se trouve au cœur du modèle social luxembourgeois, ne doit être activé qu’en cas de crise économique. Si la réunion programmée par le premier ministre chrétien-social ressemble cependant fortement à une tripartite, les deux premiers syndicats du privé ne veulent pas se laisser dicter leur agenda. S’ils s’y rendent, ils pourraient mettre leurs interlocuteurs devant le fait accompli, en demandant un élargissement des discussions aux autres problèmes qu’ils soulèvent. De ce point de vue, l’étendue de la mobilisation lors de la manifestation nationale qu’ils organisent le 28 juin à Luxembourg sera un marqueur du rapport de force qu’ils pourront établir.

Pour cette raison, les deux syndicats mènent une campagne incessante en faveur de ce rendez-vous. Ils multiplient les rencontres avec la presse, les piquets de protestation, les tournées à travers le pays, ou organisent des actions ponctuelles, comme l’a fait l’OGBL en faisant défiler ses délégué·es détaché·es dans les rues d’Esch-sur-Alzette, le 6 juin. Les attaques gouvernementales contre les acquis sociaux et le dialogue social ne faisant par ailleurs pas l’unanimité dans les rangs de la majorité parlementaire, ils espèrent aussi semer suffisamment de trouble (électoral) chez les député·es CSV et DP pour entraver la marche dérégulatrice de Luc Frieden. L’exemple du chef de file des parlementaires CSV, Marc Spautz, est déjà emblématique des réticences d’élu·es de la majorité, critiques des projets gouvernementaux tant sur la forme que sur le fond.

Dans cette actualité sociale chargée, le Conseil d’État vient de livrer deux avis confortant la position des syndicats sur la libéralisation des heures d’ouverture dans le commerce et le travail dominical dans le même secteur. Tant dans le premier dossier, porté par le ministre DP de l’Économie, Lex Delles, que dans le second, œuvre du ministre CSV du Travail, Georges Mischo, l’institution reproche aux projets de loi de ne pas s’appuyer sur une étude précise, estimant vagues les termes de « modernisation » et « d’attente des clients » avancés pour les justifier. Le Conseil d’État met en garde contre la dégradation de la vie privée et familiale, la hausse des risques pour la santé au travail ou encore le déséquilibre entre petits et grands commerces. « Ce sont des avis que j’aurais pu écrire moi-même », a ironisé Patrick Dury, le président du LCGB. Face à ce désaveu cinglant, les deux ministres ont annoncé qu’ils comptaient malgré tout mener leurs projets à terme, quitte à revoir leurs copies à la marge. Dans ce dossier, comme sur d’autres, les responsables syndicaux déplorent l’absence de dialogue réel. « On nous invite à une réunion où on écoute poliment notre position avant de nous présenter, dans une seconde réunion, un projet de loi ne tenant en rien compte de nos revendications », raconte un négociateur de l’OGBL.

Tout le monde sur le pont

L’Aleba est pour sa part sortie de son mutisme et a annoncé qu’il viendra grossir les rangs de la manifestation du 28 juin. Pour le syndicat historique de la banque et des assurances, devenu généraliste avant les dernières élections sociales, il s’agit de s’opposer à la réforme des retraites, mais aussi d’exprimer sa grogne vis-à-vis d’un gouvernement qui ne dialogue pas avec lui, alors qu’il a perdu son statut de représentativité sectorielle en 2021.

L’affaire prend cependant un tour résolument inédit par l’élargissement du front syndical à la société civile. Le 5 juin, le LCGB et l’OGBL ont organisé une journée d’échanges avec une dizaine d’ONG engagées pour le climat, l’environnement, les droits fondamentaux, les droits des personnes migrantes, l’égalité de genre, la culture ou encore la solidarité internationale. Tout au long de la journée syndicalistes et représentant·es du CELL, de l’Asti, de l’ASTM, du Cercle des ONG, de Greenpeace, du Meco, de la Journée internationale des femmes ou d’Amnesty International ont réfléchi ensemble à des stratégies de lutte contre une politique qualifiée « d’alarmante ». « Face à une offensive néolibérale qui attaque les droits sociaux, les libertés fondamentales et les conditions de vie des travailleurs, une réponse unie, déterminée et transversale s’impose », écrivent-ils dans un communiqué commun.

Les ONG de développement sont menacées de coupes budgétaires, les organisations environnementales s’offusquent des reculs écologiques et les organisations de défense des droits humains dénoncent les lois liberticides comme le « Platzverweis » ou le projet de loi visant à restreindre le droit de manifester, témoignant de la tentation autoritaire qui guette l’équipe de Luc Frieden.

Face à l’urgence à s’opposer au gouvernement, syndicats et mouvements citoyens font fi des différends qui les séparaient parfois sur certains points. L’opposition qui a longtemps existé entre syndicats et associations écologiques sur la question de la croissance tend ainsi à s’estomper, comme le montre la revendication en faveur d’une « transformation socio-écologique » présentée par le LCGB, l’OGBL, la CSL et le Meco, le 6 juin (lire ci-contre).

« Le combat est le même : sous prétexte de simplification pour les consommateurs ou les entreprises, le CSV et le DP, souvent épaulés par l’ADR à la Chambre, sont lancés dans une grande opération de dérégulation qui remet en cause des acquis fondamentaux dans tous les domaines », résume Jean-Louis Zeien, co-coordinateur de l’Initiative pour un devoir de vigilance. Cette plateforme, qui milite pour le respect des droits humains et environnementaux par les multinationales, compte à elle seule quinze organisations dans ses rangs. L’OGBL en est membre depuis sa fondation, en 2018, et n’est donc pas tout à fait en terrain inconnu avec les ONG, un monde avec lequel le LCGB a entretenu des liens plus ténus jusqu’à présent.

Toutes les associations ayant participé à la journée d’échanges avec le front syndical ont promis de mobiliser leurs membres pour la manifestation du 28 juin, qui se transformera de fait en une contestation globale de la politique gouvernementale. Si l’on y ajoute les partis politiques de gauche, cette convergence des luttes commence à rassembler beaucoup de monde et marque peut-être un prélude à de nouvelles formes d’opposition que Luc Frieden n’avait pas anticipées. Pour l’instant, le chef du gouvernement et ses ministres font mine de ne pas s’en soucier, répétant comme un mantra leur attachement à un dialogue social, réduit à un simple élément de langage depuis deux ans.

Pour une « transformation socio-écologique »

Les personnes à faible revenu sont les moins responsables de la crise environnementale et climatique, mais ce sont elles qui en paient le prix le plus élevé : forts de ce constat, la Chambre des salariés (CSL), le LCGB, l’OGBL et le Meco plaident en faveur d’un « plan social pour le climat ». La transition vers des énergies renouvelables est un défi majeur et elle ne peut s’accomplir qu’en étant accompagnée d’une transformation socio-écologique, affirment les quatre organisations, au cours d’une conférence de presse tenue dans les locaux de la CSL, le 6 juin. « Cette constellation particulière avec le Meco s’inscrit dans la continuité des récents congrès de l’OGBL et du LCGB, qui partagent les mêmes objectifs climatiques », souligne David Angel, membre du bureau exécutif de l’OGBL. Selon lui, « le rôle des syndicats est décisif, car il faut travailler dans l’esprit du dialogue social avec les gens ». « Accompagner la transition socialement est une question de justice fiscale et de répartition des richesses, car il faut faire contribuer les riches au profit des plus modestes », commente Christophe Knebeler, du LCGB. « Nous regrettons que la dimension sociale de la transition ne soit pas prise en compte par ce gouvernement », tacle pour sa part Blanche Weber, coordinatrice et présidente du Meco. Quand Luc Frieden se contente de dire dans son discours sur l’état de la nation qu’il veut « compléter le plan climat par une composante sociale », cela est à la fois insuffisant et trop vague, estiment les organisations. « Les personnes disposant de faibles ressources financières souffrent particulièrement de la crise climatique et de la perte de biodiversité : elles vivent plus souvent dans des rues soumises à un important trafic routier, habitent plus loin de leur lieu de travail, vivent souvent dans des logements mal isolés et supportent le coût le plus élevé de l’envolée des prix de l’énergie en raison de la faiblesse de leurs revenus », détaille Blanche Weber. « La transformation socio-écologique doit devenir une priorité politique », poursuit-elle. Pour y parvenir, les quatre organisations demandent notamment au gouvernement d’élaborer un plan social pour le climat (PSC) efficace. Le PSC est un instrument européen que chaque État membre est invité à présenter cette année. Il s’inscrit dans le cadre de l’introduction d’un nouveau système européen d’échange de quotas d’émissions de CO2, appelé ETS2. Limités jusqu’à présent aux grandes entreprises, les échanges de quotas sont étendus aux secteurs du transport et du bâtiment. La moitié des recettes tirées de ce commerce seront reversées aux États membres via un Fonds social pour le climat, qui doit être employé de manière ciblée pour des mesures de compensation sociale liée à la transition énergétique. À ce titre, le grand-duché percevra un maximum de 66 millions d’euros pour la période 2026-2032. Soit une paille dans un océan de besoins. Quant à la taxe CO2 introduite au Luxembourg, elle n’atteint pas son but, calculent les syndicats, la CSL et le Meco, relevant que sur les 282 millions d’euros récoltés en 2024, seule 30 % de cette somme a été versée sous forme de compensation sociale, alors que l’objectif était de 50 %. En somme, le gouvernement doit revoir sa copie et mobiliser les fonds nécessaires pour empêcher un accroissement des inégalités sociales liées au changement climatique. Pour y parvenir, les quatre organisations demandent aux pouvoirs publics de mener des études, inexistantes à ce jour, permettant de mieux définir quels doivent être les publics cibles et vers quelles mesures il convient de diriger les fonds. Très concrètement, elles préconisent, entre autres, le développement de réseaux de chauffage et de transport public locaux, la promotion de la rénovation énergétique dans le secteur locatif (occupé par les foyers les plus modestes), la mise en place d’un prêt climatique à taux zéro en faveur des ménages à faibles revenus ou encore une accélération de la végétalisation des localités.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Die Kommentare sind geschlossen.