Musique classique : Victor Hugo, la poésie chantée d’un visionnaire

Sur la lancée de son projet pluridisciplinaire autour de Victor Hugo, le trio Cénacle publie un CD qui mêle mélodies sur des vers du poète et extraits de discours. Compte rendu d’écoute avant sa présentation, le 22 mai, au Centre national de l’audiovisuel.

Le trio Cénacle continue son exploration pluridisciplinaire des écrits de Victor Hugo avec un CD… (Photo : Arek Glebocki)

« Supposez que les peuples d’Europe, au lieu de se défier les uns des autres, de se jalouser, de se haïr, se fussent aimés ; supposez qu’ils se fussent dit qu’avant d’être Français, ou Anglais ou Allemand, on est homme, et que, si les nations sont des patries, l’humanité est une famille. » Après quelques notes de la composition de Marco Pütz « À Vianden », qui clôturera le CD, la voix de Pitt Simon annonce le programme : nous ne sommes pas ici dans un simple album musical, mais plutôt dans l’exploration de la pensée d’un visionnaire mêlant poésie et politique. Un projet logique pour le trio Cénacle – composé de Michèle Kerschenmeyer au piano, de la soprano Evelyn Czesla et du baryton-basse Nico Wouterse –, qui avait en 2021 concocté un spectacle audiovisuel pour le 150e anniversaire du séjour d’Hugo au grand-duché. Le court métrage réalisé par James Chan-A-Sue à cette occasion peut d’ailleurs être visionné grâce à un lien contenu 
dans le CD.

Place à la mélodie dès la deuxième plage, avec « L’aube naît et ta porte est close », écrit sur les vers du poète par Édouard Lalo. Ce dernier est du reste le musicien le plus représenté, avec quatre morceaux. Tous bénéficient d’une atmosphère différente, croquée avec habileté en quelques notes par la pianiste : d’emblée, le ton est donné, ce qui permet à la soprano de poser une voix très lyrique et très riche en sentiments sur des paroles évidemment bien troussées. « Guitare », la quatrième mélodie, est chantée par le baryton-basse. Son timbre est plus retenu, sa diction plus pointue, proposant une qualité d’émotion complémentaire.

Contraste toujours entre les atmosphères pour les mélodies de Camille Saint-Saëns, où l’espièglerie de « Suzette et Suzon » côtoie les affres de l’amour de « Si vous n’avez rien à me dire », tandis que celles de Charles-Marie Widor, « J’étais seul près des flots » et « L’hiver », nous offrent la possibilité d’entendre les deux voix ensemble. D’une manière générale, les choix musicaux du trio permettent d’assurer une diversité bienvenue, qui retient l’attention lors d’une écoute complète. Du côté des compositeurs contemporains d’Hugo, on trouvera encore une mélodie de César Franck ainsi que deux de Georges Schmitt. Ces dernières avaient déjà été enregistrées par la formation en 2018, mais revêtent beaucoup de sens dans cet album particulier : la double culture allemande et française de Schmitt en fait un symbole fort de la réconciliation européenne voulue par Hugo.

… auquel le comédien Pitt Simon prête 
également sa voix. (Photo : Pitt Simon)

Musical, poétique… et politique

« Bas les armes ! vivez en paix ! », écrit en effet le poète dans son discours d’ouverture du Congrès international de la Paix, en 1849 à Paris. La sixième plage, après plusieurs mélodies, nous offre donc un extrait de la pensée pacifique d’Hugo, servie par la voix de Pitt Simon. Dans l’intonation, point de lyrisme exacerbé comme cela se pratiquait en général à l’époque ; plutôt un ton posé, calme, persuasif. Doux, même. « Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être ! » C’est avec la certitude des visionnaires que l’écrivain pose ses mots, c’est avec la confirmation – quoique tardive par rapport à ce discours, quoique malheureusement partielle – d’une paix durable en Europe que le comédien la lit sans ostentation. « Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix. » Comment ne pas réfléchir à ces paroles au vu de l’actualité guerrière ? C’est aussi à cela que nous invite cet album, où la musique des notes se mélange à celle des mots.

La dernière plage est consacrée à l’adaptation par le compositeur luxembourgeois contemporain Marco Pütz du poème « À Vianden », écrit par Hugo lors de son séjour de 1871 au grand-duché. Dans cette longue et sombre litanie qui commence pourtant comme un rêve champêtre, la virtuosité pianistique et les graves notes tenues mettent en valeur le talent de Michèle Kerschenmeyer, tandis qu’Evelyn Czesla et Nico Wouterse peuvent moduler leurs intonations jusqu’à la voix parlée. Quatorze minutes pour conclure cet enregistrement de « la poésie chantée d’un visionnaire » sur un constat terriblement actuel : alors que le poète exacerbe dans ce texte le contraste entre les beautés de Vianden et la répression sanglante de la Commune de Paris, on ne peut qu’observer la fragilité de la paix sur le continent européen. Cet album, au-delà de ses qualités artistiques, amène à cruellement ressentir l’absence de discours visionnaires pour la paix dans les médias. Ce qui en fait un objet aussi politique que poétique ou musical. Victor Hugo aurait sûrement approuvé.

CD paru chez Dreyer-Gaido Musikproduktionen.
Présentation le 22 mai à 19h30 au Centre national de l’audiovisuel, avec table ronde (en allemand) et projection du court métrage « À Vianden ». 
Entrée gratuite, réservation obligatoire : cinestarlight.lu/movies/trio-cenacle


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