La « Lëtzebuerger Gesellschaft fir nei Musek », entre prestations remarquées et recherche permanente de financement, œuvre depuis 32 ans au grand-duché. Marcel Wengler, qui en est le directeur artistique depuis les débuts, nous parle des hauts et des bas de la promotion de la musique contemporaine.
Dimanche 20 décembre 2015, dans les locaux de la Lëtzebuerger Gesellschaft fir nei Musek (LGNM), route d’Arlon à Strassen. L’association, reconnue d’utilité publique en 1999, a invité la presse à la présentation de ses récents CD et DVD. Mais de journalistes, point… sinon le représentant du woxx. Une chose frappe à la vue des dernières publications : le lien étroit qui semble s’être noué entre la LGNM et la Chine. Nombre d’enregistrements récents ont en effet été effectués à Hong Kong, Chengdu ou Wuhan. Quelle peut en être la raison ?
L’histoire commence en 1983. « À l’époque, nous, les jeunes compositeurs luxembourgeois, n’étions pas joués par l’orchestre de RTL. Nous avons donc pensé, Alexander Mullenbach et moi, rejoindre l’International Society for Contemporary Music (ISCM) afin de promouvoir notre travail et donner un peu plus de poids à notre patrimoine musical récent. Nous avons donc créé la LGNM », explique Marcel Wengler. Le compositeur et chef d’orchestre enseigne alors l’harmonie, le contrepoint et la fugue au conservatoire de la Ville de Luxembourg, à raison de 15 heures par semaine. Après quelques années, remercié par la commune, il se plonge à plein temps dans le grand bain de la promotion culturelle.
Les World Music Days, une belle réussite
C’est l’organisation des World Music Days, un festival international lancé dans les années 1920 par l’ISCM, qui accélère les choses : « En 1997, nous en avions parlé et pensions accueillir l’événement dans un délai d’une dizaine d’années. Et puis un changement de gouvernement en Israël a forcé la section locale de ce pays à renoncer à l’organisation du festival en 2000. Pendant l’assemblée générale de l’ISCM, un délégué a alors fait remarquer, sur le ton de la plaisanterie, que le Luxembourg venait de poser sa candidature : pourquoi donc ne pas lui confier l’édition 2000 ? Après le feu vert du ministère de la Culture, nous nous sommes lancés. »
Commence alors une course contre la montre pour la finalisation du programme et son financement. Côté programmation, les liens tissés au sein de l’ISCM permettent de rapidement prendre les contacts nécessaires. Reste le nerf de la guerre : là, les difficultés sont étonnamment évacuées en un tour de main. Alors que la LGNM avait dû jusqu’alors mettre le ministère de la Culture devant le fait accompli en louant des locaux et en embauchant une employée permanente afin d’obtenir des subventions, la ministre de l’époque, Erna Hennicot-Schoepges, propose de doubler le budget pour faire des World Music Days un événement exceptionnel.
Et exceptionnel, il l’a été : du 29 septembre au 8 octobre 2000, dans tout le pays et même en Grande Région, une trentaine de concerts ont eu lieu – dont la plupart d’ensembles contemporains mondialement réputés -, complétés par des installations sonores au Casino, des rencontres… Une réussite, même si, financièrement, le ministère a dû se faire tirer l’oreille pour honorer ses engagements et n’a versé le solde de sa participation que des années plus tard. Les World Music Days au grand-duché marquent le début d’une période faste pour la LGNM, qui crée son propre ensemble à géométrie variable – le Luxembourg Sinfonietta -, lance un concours international annuel de composition et adhère à l’International Association of Music Information Centers pour diffuser mondialement son catalogue d’œuvres de musiciens luxembourgeois.
Un patrimoine bien mis en valeur
Les nombreux CD et DVD édités peuvent témoigner d’un dynamisme à toute épreuve. La très complète anthologie de musique luxembourgeoise, dirigée par Wengler à la tête d’un orchestre symphonique de Radio-Télé Luxembourg en belle forme, recèle quelques pépites orchestrales toujours presque pas jouées, tandis que les captations du Luxembourg Sinfonietta montrent un ensemble versatile et parfaitement au fait des subtilités de la musique contemporaine. « Nous essayons toujours de mélanger des œuvres plus classiques avec les œuvres contemporaines qui constituent le cœur de notre répertoire. C’est la raison pour laquelle je fais moi-même les arrangements des morceaux connus pour petit ensemble, afin de donner aux représentations une certaine cohérence. Et le public est en général enthousiaste. »
En 2006, le budget de l’association est encore de 240.000 euros, dont la moitié environ provient du ministère de la Culture. Le reste est réparti entre partenaires institutionnels publics et privés, dont un long partenariat avec la branche locale d’IBM. Mais la participation de l’État va s’étioler au fil des ans. Si les activités de conservation du patrimoine musical luxembourgeois continuent, les concerts du Luxembourg Sinfonietta au grand-duché se font plus rares : la Salle de concerts grande-duchesse Joséphine-Charlotte draine une grande partie de l’argent public pour la musique et concentre les auditeurs. « La Philharmonie a des millions d’euros de réserve, et nous, nous devons demander de l’argent en permanence. Car malheureusement, en dehors de Luxembourg-ville, les communes ont des salles formidables, mais le public ne suit pas forcément. Nous l’avons vu lorsque le CAPe nous a accueillis chaque année avec beaucoup de gentillesse pour la création des œuvres primées à notre concours de composition. » La mise en place des grandes institutions culturelles du début des années 2000 n’a pas fait que des heureux.
Marcel Wengler décide alors de se tourner vers l’est : « En tant que membres de l’ICSM, nous avons un réseau mondial. Nos relations avec la Chine datent d’une invitation à Hong Kong dans le cadre des World Music Days en 2006. La qualité musicale et la collaboration que nous pouvons offrir sont essentielles en Chine. Nous créons aussi des œuvres de compositeurs chinois : c’est un échange mutuel où chacun trouve son compte. » S’ensuivent des concerts et des invitations chaque année dans les plus prestigieux conservatoires de l’empire du Milieu, très souvent prétextes à échanges culturels. Dans la foulée, c’est même en Chine que la LGNM organise son concours de composition en 2013. Selon Marcel Wengler, les subventions de l’État pour celui-ci auraient été retirées en 2012 à cause du fait que, en dix ans, aucun compositeur luxembourgeois n’a été distingué.
Reverra-t-on bientôt le Luxembourg Sinfonietta sur une scène grand-ducale ? En tout cas, rien n’est programmé pour l’instant, car la situation de la LGNM s’est soudainement précarisée en 2015 : sa convention avec le ministère n’a pas été renouvelée, même si des subventions, selon le document officiel, pourront être accordées « à partir de 2016 sur présentation de projets ». Pire, la résiliation obligeait l’association à rendre courant janvier ses locaux, mis à disposition par l’État, où elle stocke plus de 30 ans d’activités sous forme de partitions, certaines originales, et d’enregistrements sonores et audiovisuels. Une situation dont se sont emparés Martine Mergen (CSV) et Fernand Kartheiser (ADR) dans des questions parlementaires pas encore traitées.
Une entrevue avec la Commission des loyers le 1er février s’est soldée par un sursis, devant l’impossibilité matérielle de déménager rapidement. C’est probablement au niveau politique que devra se régler la situation. Rendez-vous a été pris au ministère de la Culture le 16 février. Affaire à suivre donc, car, au Luxembourg comme ailleurs, l’argent public reste indispensable à la musique contemporaine, quelle que soit la qualité de ses interprètes. Et de qualités musicales, la LGNM et son Sinfonietta n’en manquent certainement pas.