Non-recours aux aides financières : Aides sociales : encore trop de blocages

Encore trop d’aides financières ne sont pas réclamées par les ménages modestes, alors qu’elles constituent un levier non négligeable pour lutter contre la pauvreté. Une étude qualitative menée par deux chercheuses lève le voile sur les raisons du non-recours à ces aides.

L’office social de la ville de Luxembourg est ouvert du lundi au vendredi jusqu’à 16 heures. Alors que les démarches pour recourir aux aides sont souvent trop compliquées, « la voie est de développer une seule porte d’entrée pour les personnes à faible revenu », explique la chercheuse Anne-Catherine Guio.  (Copyright: María Elorza Saralegui/woxx)

Que ce soit en raison d’un salaire structurellement bas ou d’accidents de la vie, les trajectoires qui mènent à la précarité sont multiples. Tout comme le sont les conséquences de cette précarité sur les personnes concernées : renoncement aux loisirs, privations (de nourriture par exemple), sacrifice de la santé, situation de stress permanent, fatigue, surcharge émotionnelle délétère… Au Luxembourg, les dernières études du Statec indiquent que près de 20 pour cent de la population est confrontée au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, soit environ 130.000 personnes, dont près de 30.000 enfants. Un nombre que le gouvernement s’est engagé à diminuer d’un sixième d’ici à 2030.

Évidemment, régler le serpent de mer que constitue la problématique du logement apparaît comme l’un des piliers de la lutte contre la pauvreté au grand-duché, les dépenses pour se loger pouvant atteindre 60 pour cent des revenus des ménages les moins aisés. Mais le pays dispose également d’autres instruments pour contribuer au recul de la pauvreté, dont le seuil de risque est fixé à 2.247 euros mensuels pour un adulte seul et à 4.718 euros pour un couple avec deux enfants. Notamment un dispositif d’aides financières visant à soutenir les ménages modestes : allocation de vie chère, prime énergie, subvention de loyer, avance et recouvrement de la pension alimentaire, subvention pour ménage à faible revenu, accès aux épiceries sociales, aides communales, etc.

Cependant, diverses études ont montré que le taux de non-recours à ces aides demeure très élevé – de l’ordre de 40 pour cent pour l’allocation de vie chère, voire de 80 pour cent pour la subvention de loyer. Une situation jugée « inacceptable » par le ministère d’État.

Deux chercheuses, Anne-Catherine Guio, de l’Institut luxembourgeois de recherche socio-économique (Liser), et Anne Franziskus, du Statec, se sont penchées sur le sujet et ont mené une étude qualitative pour comprendre ce qui bloque le recours à ces aides en interrogeant au total 35  personnes aux profils socio-économiques variés : des travailleurs·euses, des pensionné·es, des étudiant·es, des chômeurs·euses, des personnes en arrêt maladie ou percevant le revenu minimum d’inclusion sociale (Revis).

Démotivation

Il ressort des entretiens menés qu’en premier lieu, au-delà de la seule connaissance de l’existence de l’aide disponible, la bonne compréhension des informations s’avère essentielle pour franchir le pas et demander des aides. « Connaître l’existence de l’aide est une condition nécessaire mais non suffisante du recours », écrivent les chercheuses. La non-compréhension de la documentation et des justificatifs à fournir peut en effet entraver le recours.

De même que la complexité des démarches à effectuer (des démarches d’autant plus laborieuses que les critères d’éligibilité diffèrent d’une aide à l’autre), les délais d’attente et la lourdeur du renouvellement régulier des demandes pèsent également très lourd en faveur du renoncement aux droits. « Je ne sais pas comment ils sont organisés. C’est démotivant parce que toutes les années il faut refaire une demande comme si c’était la première fois qu’on faisait une demande », témoigne une mère de famille isolée citée dans l’étude.

Sans oublier le « coût psychologique » de toutes ces démarches : sentiment de honte de devoir demander de l’aide, stigmatisation, contacts et courriers avec l’administration ressentis comme blessants, refus perçus comme injustes… « Je m’attendais à trouver beaucoup plus de non-recours par non-information, mais j’ai le sentiment qu’au Luxembourg il y a de nombreux cas de non-recours par peur d’essuyer un refus ou parce qu’il y a eu un refus par le passé, même si les règles d’éligibilité ont évolué depuis », commente Anne-Catherine Guio. « Nous avons été confrontées parfois à d’énormes sentiments de colère, avec une impression d’injustice et la présence du stéréotype ‘du bon pauvre’ », qui conduit à rejeter d’autres groupes jugés moins méritants à l’obtention des aides, typiquement les migrant·es.

Si les chercheuses notent que « diverses administrations luxembourgeoises font des efforts de simplification des informations », elles préconisent toutefois dans leur rapport plusieurs pistes susceptibles de faciliter davantage le recours aux aides, comme l’envoi de courrier aux personnes potentiellement éligibles à ces aides, l’accessibilité physique et téléphonique des administrations ou encore la mise en place d’un guichet unique. « Il y a des aides, mais elles sont inutilement compliquées dans bien des cas. Elles utilisent différents concepts les unes des autres, ce qui perd les gens. La voie est de développer une seule porte d’entrée pour les personnes à faible revenu », résume Anne-Catherine Guio.

Des mesures à venir

Plusieurs des préconisations du rapport ont été entendues par les autorités. Contacté, le ministère d’État a en effet rappelé dans un courriel la volonté du gouvernement de « mettre fin à la jungle bureaucratique dans laquelle se perdent surtout ceux qui peuvent le moins se le permettre ». Un projet de loi introduisant le principe du « once only » a ainsi été déposé. « Grâce à ce principe, les administrations pourront, à l’avenir, collaborer entre elles pour déterminer dans quelles circonstances une personne est éligible à telle ou telle aide. L’État pourra ainsi envoyer de manière proactive un formulaire aux citoyen·nes concerné·es, qui, dans le meilleur des cas, n’auront plus qu’à signer le document afin d’obtenir les aides auxquelles ils·elles sont éligibles », explique-t-il.

L’allocation de vie chère, qui a été augmentée de 10 pour cent, et la prime énergie, triplée et élargie, sont par ailleurs désormais versées automatiquement aux bénéficiaires du Revis, que plus de 30 pour cent des personnes y ayant droit ne demandaient pas. Pour les autres, le délai d’introduction de la demande est reporté du 31 octobre au 31 décembre. Quant au délai de résidence sur le territoire nécessaire, il a été réduit de douze à trois mois. En outre, les données des bénéficiaires de l’allocation de vie chère seront « à l’avenir communiquées d’office aux communes respectives sur le territoire desquelles ils·elles résident », indique par courriel le ministère de la Famille et des Solidarités (MFVSA), dans le but in fine d’automatiser également le versement des aides communales.

Le MFSVA ajoute qu’un certain nombre de prestations ne sont ou ne seront plus prises en compte au titre des revenus pour déterminer le droit aux prestations et signale la mise en ligne, déjà effective sur le site du Fonds national de solidarité, d’un calculateur pour déterminer l’éligibilité au Revis, à l’allocation de vie chère et à la prime énergie.

D’autres pistes évoquées par les chercheuses restent néanmoins à explorer, afin d’assurer la disponibilité de l’information et de parfaire la réponse de l’administration, encouragée à réduire le délai de traitement des dossiers. Surtout, l’étude d’Anne-Catherine Guio et d’Anne Franziskus met en évidence le besoin de repenser la politique d’aide nationale dans sa globalité, en revoyant notamment les seuils de revenus et la progressivité de l’aide, en simplifiant l’accès aux épiceries sociales – « dernier rempart contre la pauvreté extrême » – et les conditions d’accès à l’avance et recouvrement de la pension alimentaire, jusqu’à présent « très difficiles, voire impossibles à remplir ». Sans oublier la nécessité d’améliorer l’accessibilité financière aux soins de santé et de repenser le soutien à certains groupes (voir encadré).

Des groupes exclus des aides

Au cours de leurs entretiens, Anne-Catherine Guio et Anne Franziskus ont noté à quel point les textes législatifs pouvaient parfois « exclure, de manière volontaire ou involontaire, certains groupes de personnes en situation de précarité et ainsi diminuer l’efficacité des dispositifs d’aide ». Les chercheuses relèvent ainsi que « bon nombre de conditions d’éligibilité entravent l’accès à des groupes vulnérables ». Les étudiant·es par exemple, même en situation de grand besoin, sont exclu·es de la plupart des aides. « Il ne s’agit pas seulement d’étudiants migrants. Ceux qui n’ont pas de parents qui les soutiennent sont en grande difficulté. Ils n’ont même pas le droit d’accéder à ’épicerie sociale », commentent les chercheuses.


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