Pas-de-Calais :
 Faillite de la politique d’asile européenne


La « jungle » de Calais, campement de fortune hébergeant plusieurs milliers de migrants, est – en partie – démantelée par les autorités françaises depuis peu. Serge Kollwelter était à Calais, mais aussi à Grande-Synthe, où une autre jungle a vu le jour. Il nous livre son récit.

(Photo : Julia Druelle)

(Photo : Julia Druelle)

La région du Pas-de-Calais est depuis des années un tremplin pour de nombreux Afghans, Africains, mais aussi Iraniens, Syriens et Irakiens qui tentent de passer en Angleterre. À Calais, mais aussi à Dunkerque, à une quarantaine de kilomètres de là, ils se retrouvent dans des squats et des campements de fortune. Le mythe de l’Angleterre persiste et les tentatives de passage continuent, malgré le renforcement des moyens de surveillance.

Qu’est-ce qui rend l’Angleterre si attrayante pour ceux qui ont déjà fait des milliers de kilomètres et dépensé des milliers d’euros pour arriver au bout de la France ? Les membres de la famille qui y sont déjà installés, l’absence de carte d’identité – et donc de contrôles – y jouent un rôle. Mais le – mauvais – traitement réservé aux migrants en France n’y est pas pour rien non plus.

« Le mythe de l’Angleterre persiste et les tentatives de passage continuent. »

En avril 2015, les habitants des jungles ont été forcés de s’installer à l’extérieur de la ville, autour de l’ancien centre aéré Jules Ferry, centre qui allait héberger femmes et enfants migrants. Loin des yeux des Calaisiens, la « New Jungle », gigantesque campement de fortune hébergeant jusqu’à 6.000 personnes, s’est établie. Avec l’aide des associations, des cabanes ont partiellement remplacé bâches et tentes de fortune.

À la mi-février, la préfète du Pas-de-Calais ordonne l’évacuation de la partie sud de la jungle. Fait rarissime, une juge du tribunal administratif de Lille a visité, mardi 23 février, le campement de Calais. Saisie par dix associations, mais aussi par 238 migrants, c’est à elle qu’incombait la tâche de juger si le démantèlement était une « violation des droits fondamentaux des individus ».

Elle a visité des lieux de culte et le Centre d’accueil provisoire (CAP), où sont hébergés 1.200 migrants dans des conteneurs chauffés. Le Centre d’accueil provisoire a été mis en place par les pouvoirs publics suite à une décision du Conseil d’État de janvier. La centaine de conteneurs est entourée d’un grillage. Afin d’y accéder, il faut laisser ses empreintes digitales, et toute entrée ou sortie est contrôlée. Sans surprise, le CAP ne connaît qu’un succès mitigé. De toute façon, il ne saurait accueillir toute la population de la jungle.

Un ultimatum avait été lancé aux habitants de la zone d’évacuation de la jungle : le 23 février à 20 heures, le démantèlement allait commencer. Il a été suspendu jusqu’à la décision de la juge quant à une éventuelle violation des droits fondamentaux. Une décision survenue le 25 février à 16 heures : si le feu vert est donné pour le démantèlement, la juge interdit toute action brutale en rappelant que « l’État s’est engagé (…) à une éviction progressive ».

Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, a également visité le camp quelques jours avant l’éviction. Dans un bilan diffusé le lendemain, elle se dit « préoccupée par la situation actuelle des enfants et l’absence de visibilité concernant leur future prise en charge ». Elle déplore « que le droit à l’éducation de ces enfants soit loin d’être assuré ». Sur les 326 mineurs non accompagnés étrangers présents à Calais, un quart aurait moins de 15 ans, et le plus jeune, livré à lui-même, aurait sept ans, selon un recensement effectué par l’association France terre d’asile.

« Lorsqu’un pays s’autoproclame patrie des droits de l’homme, il est le seul à pouvoir se retirer ce titre. »

Après le feu vert du tribunal que nous attendions sur place, Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, s’est fendu d’une conférence de presse retransmise en direct. Bien sûr, la France allait offrir une « alternative » à tous les migrants, et non, il n’aurait jamais été question d’utiliser la force. La présence de bulldozers dès lundi aurait été une rumeur non fondée, et on allait progresser par la persuasion et dans le respect de la dignité des personnes… On sait ce qu’il est advenu de ces paroles en l’air : la partie sud de la jungle a été démantelée – et continue de l’être -, des heurts entre activistes et forces de l’ordre ont eu lieu et des bulldozers ont bel et bien été utilisés.

Changement de scène: à une trentaine de kilomètres de là, au camp de Grande-Synthe, du côté de Dunkerque, non loin d’une cité résidentielle: voilà une véritable jungle. Bâches et tentes sous les arbres, allées et sentiers boueux, au beau milieu, des gosses dans des bottes beaucoup trop grandes jouent dans la boue.

Contrairement à la jungle de Calais, celle de Grande-Synthe n’est pas forcément au centre de l’attention – ni du côté des médias, ni du côté des autorités. Alors que, à Calais, la mairie (de droite) et le gouvernement s’emploient à faire disparaître le bidonville, le maire écolo de Grande-Synthe s’y prend autrement. Il veut certes récupérer le terrain pour y faire construire un « écoquartier ». Mais pour reloger les résidents du camp, il leur fait construire, à deux kilomètres de là, un campement. Il a chargé Médecins sans frontières d’y élever un véritable « village », pouvant accueillir jusqu’à 2.500 personnes.

Le site a été ouvert le 7 mars 2016. Pas de clôture, ni de prise d’empreintes digitales, mais le minimum vital, y compris un centre médical.

Fort heureusement, à Calais comme à Grande-Synthe, de nombreux bénévoles essaient de soulager la situation des migrants. L’initiative luxembourgeoise « Catch a Smile » par exemple, y fournit vêtements et équipements.

Lorsqu’un pays s’autoproclame patrie des droits de l’homme, il est le seul à pouvoir se retirer ce titre. C’est ce que la France est en train de faire à grands pas !

Visitez le blog de l’auteur : 
sergekollwelter.blogspot.lu

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