Photographie : Portraits d’un monde 
en souffrance

Le Mois européen de la photographie bat son plein. L’occasion pour le Musée national d’histoire et d’art de mettre en avant le travail de sept photographes sur le thème « Portraits sous surveillance ». Comment, à l’heure où tout est image, montrer les visages ?

(Photo : Jure Kastelic)

Depuis le 11-Septembre et la chute des tours du World Trade Center, la vision du monde a changé. Ce jour-là, sur tous les continents, l’histoire était retransmise en direct à la télévision. Comme jamais auparavant. Quand l’indécence de la mort s’expose de la sorte, comment continuer à photographier ? C’est la question que se sont posée les commissaires de l’exposition « Portraits sous surveillance », Paul Di Felice et Pierre Stiwer.

Ils ont choisi le contrepied de la photo classique et ont proposé aux sept artistes accueillis au MNHA de s’inspirer des images issues de la paranoïa moderne, de cette sécurité renforcée qui est devenue le quotidien de tous. Les caméras de vidéosurveillance, des grands magasins aux aéroports, constituent ainsi la matière de ce travail.

Le procédé est revisité, disséqué par l’œil de l’artiste, qui se plaît à interpréter ces visages anonymes, saisis sans le savoir dans leur quotidien le plus banal. Mais en écho au 11-Septembre, c’est sans doute le travail du Slovène Jure Kastelic qui est le meilleur point de départ. Dans « Death Reporters », il choisit l’arrêt sur image, l’instant précis où des présentateurs de journaux télévisés… annoncent une mauvaise nouvelle à l’antenne, sourire aux lèvres ou visage grave.

Ces portraits sèment le trouble dans le regard du visiteur quand l’Israélien Tami Notsani, associé au Français Laurent Mareschal, choisit de confronter des visages d’adolescents à leurs portraits robots, réalisés par les modèles mêmes, dans le projet « Mues ». Des autoportraits policiers et orwelliens.

Ou encore lorsque l’Anglaise Aida Silvestri décide de flouter des visages de réfugiés érythréens. Ces invisibles aux yeux du monde trouvent leur vie détaillée par un fil rose, cousu à même le tirage, qui symbolise leur long voyage vers l’Europe.

L’Italien Paolo Cirio, avec « Obscurity », floute les visages de prisonniers américains pour mieux exposer ceux des agents des services fédéraux au cœur de l’affaire Snowden. Un changement de point de vue étourdissant. Comme si les criminels n’étaient plus ceux que l’on dit.

Ce thème de l’anonymat revient dans le travail du Luxembourgeois Marco Godinho. Ses portraits ? Des cadres blancs, territoires vierges pour visages cachés. Mais derrière le diaphane se dessinent les vrais portraits, invisibles pour le spectateur, de Portugais qui vivent au grand-duché.

Sur le vif : Jules Spinatsch capture de façon automatique un événement mondain.
(Photo : Jules Spinatsch / Pictet Collection)

Le Suisse Jules Spinatsch montre quant à lui ces détails qui échappent souvent aux caméras, grâce à un procédé unique qu’il avait mis en place lors du bal de l’Opéra de Vienne, en 2009. À l’aide de deux appareils photo automatiques, il avait immortalisé la soirée grâce à plus de 10.000 clichés. La centaine qui est exposée au MNHA suffit à montrer l’état d’esprit des participants à l’événement mondain.

Moins anonymes, les cent visages de ceux qui font la City, le poumon financier du Royaume-Uni, sont montrés par l’Espagnol Daniel Mayrit dans sa série « You Haven’t Seen Their Faces ». Des visages qu’il faut regarder à l’aune de la situation de l’économie mondiale, pleins de morgue et de certitude pendant que le monde vacille.

Une fragilité des choses qui est le trait d’union de cette exposition dont on ressort étourdi, pour mieux s’interroger sur les suites du 11-Septembre, seize ans après le basculement du monde.

Au MNHA, jusqu’au 17 septembre.

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