Politique culturelle : Stratégie du choc

La privatisation rampante du patrimoine culturel a de nouveau choqué quand il est apparu qu’une partie du processus d’embauche du nouveau directeur du Mudam a été confiée à Deloitte. Pourtant, ce n’est qu’un symptôme de plus d’une évolution qui a commencé avec le DP au ministère de la Culture.

(Photo : flickr/Sébastien Wiertz)

Pendant que le « Who’s Who » de la scène culturelle se pavanait à la Biennale de Venise, une petite annonce paraissait au grand-duché, signalant que le processus d’embauche pour le directeur du Mudam était bien lancé. Les personnes intéressées par le poste étaient priées d’envoyer leur CV à un certain Adriano Picinati di Torcello, qui travaille pour le « Big Four » Deloitte. Le rôle de celui-ci, « art and finance coordinator » dans sa boîte et un des architectes du Freeport, serait pourtant limité. Selon les dires du secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt, devant la commission parlementaire de la Culture qui l’avait convoqué, il ne ferait office que de « boîte à lettres » pour les CV. Ces documents seraient ensuite transmis à une firme de « headhunting » à Londres, qui transférerait son tri au comité de sélection du Mudam. À la question de savoir pourquoi tant de « précautions » ont été prises, Arendt s’est caché derrière le conseil d’administration du Mudam, qui prendrait ses décisions en toute autonomie.

Autre catégorie, mais même symptôme : la création ex nihilo de l’association « Lëtz Arles », qui gérera la participation du Luxembourg aux prestigieuses Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Né d’un coup de tête de Florence Reckinger (Banque de Luxembourg, membre du conseil d’administration du Mudam, membre des influents Amis des musées et du jury du prix Edward Steichen) et de Guy Arendt, ce projet sur trois ans n’est rien d’autre que le Luxembourg s’achetant de l’espace dans une grande rencontre internationale. En découvrant le conseil d’administration de « Lëtz Arles », on constate que presque chaque membre possède des interconnexions similaires. Les retombées pour le secteur culturel local sont nulles, tandis que le « nation branding » continue d’avoir le vent en poupe tout en haut des priorités du ministère de la Culture – ou de la petite clique qui prend les décisions importantes derrière des portes fermées.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Un petit retour en arrière peut aider à mieux comprendre : avec l’arrivée des libéraux au ministère de la Culture s’est mis en place ce que la théoricienne et auteure canadienne Naomi Klein a appelé la « stratégie du choc ». Elle consiste à rendre les citoyens – ou dans ce cas la scène culturelle – tellement amorphe par le biais de chocs répétés qu’elle ne se défend plus. Premier choc : l’arrivée de Maggy Nagel à la Culture avec ses conventions annulées, ses expositions décommandées et ses tournées de concert supprimées. La scène culturelle, qui se plaignait de l’inactivité d’Octavie Modert – qui ne faisait rien d’autre que perpétuer l’héritage d’Erna Hennicot, en est restée hébétée. Nagel, en brave soldate libérale, n’a pas été comparée à un monstre ou un bulldozer pour rien.

(Photo : Wikimédia)

Le « nation branding » est devenu une priorité, c’est un fait.

Après son limogeage, place à la seconde vague de chocs. Plus discrète, elle consiste à mettre en avant certaines choses pour qu’on s’intéresse moins à d’autres. Le « nation branding » est un exemple de diversion. Mais l’affaire Lunghi a également dans un certain sens fait qu’on s’intéresse à la surface plutôt qu’aux réseaux qui se sont mis en place discrètement derrière. Et on sait pertinemment que ce n’est pas uniquement à cause de l’interview de RTL que l’ancien directeur du Mudam a pris la porte. Le « Nol op de Kapp » n’était que la pointe de l’iceberg.

Alors que le Luxembourg n’a toujours pas atteint le fameux un pour cent culturel de son budget – que la France dépasse d’ailleurs -, les ressources sont donc mises au service du secteur privé et surtout financier, et cela dans un mélange opaque. Certes, avec un secteur culturel aussi désorganisé et peu uni, il était facile de mettre en place de tels systèmes. Mais après cinq ans de DP à la Culture, ce secteur risque de se réveiller avec une grosse gueule de bois.

 


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