No One Is Innocent (re)passe à la Kulturfabrik d’Esch – l’occasion de voir ou de revoir un groupe français parmi les plus prolifiques, mais aussi discrets, de ces dernières décennies.
Le début des années 1990 était la dernière époque où la musique pouvait encore être la preuve d’une certaine effervescence, d’une rage créatrice. Depuis, c’est le business qui règle ce qu’on écoute à la radio ou en streaming. Mais croire que cette dernière période créatrice n’a apporté que la vague grunge serait passer à côté d’une autre tendance – celle du rap-metal. Les premiers contacts entre groupes de rock et de rap se sont déjà faits dans les années 1980, mais ce n’est qu’en 1992 que cette tendance explose littéralement, avec la publication du premier album éponyme de Rage Against the Machine.
Même à Paris, qui n’est pas la capitale du rock, les jeunes vibrent avec ce genre hybride alliant les flots de paroles du rap avec la dureté des guitares de metal. Et notamment en 1993, à la porte de Clignancourt, où un groupe de jeunes loue un studio pour fignoler les premières chansons de ce qui allait devenir No One Is Innocent, un nom d’ailleurs tiré d’une chanson des Sex Pistols. Mais au lieu du nihilisme punk, les jeunes Parisiens mettent en avant leur goût de l’engagement politique : « 1994, nous fêtons les 50 ans de la libération de Paris, Nelson Mandela est élu président de la République, pourtant la politique et le climat hexagonal font froid dans le dos, No One Is Innocent, eux, chantent ‘La peau’ la rage au ventre… », écrivent-ils sur leur site, avant de constater que plus d’une vingtaine d’années plus tard, l’état du monde ne s’est pas forcément amélioré.
« La peau » est d’ailleurs leur premier single qui marche, après le passage de la formation par le tremplin musical français des Transmusicales de Rennes, festival de découverte par excellence. S’ensuivent des années de tournées et de productions frénétiques avec un autre album, « Utopia », en 1997. Ce dernier a été produit aux États-Unis, à Woodstock, et contient des éléments plus expérimentaux ainsi que des textes coécrits par le chanteur Kemar et l’écrivain de science-fiction franco-canadien Maurice G. Dantec (avant qu’il ne vire totalement conspirationniste et d’extrême droite).
Déçu du faible succès de cet album, le groupe se met en hiatus en 1998. Il y restera jusqu’en 2004, l’année où Kemar le relance, mais avec de nouveaux musiciens. L’album « Revolution.com » se veut plus électronique et pas moins politique, vu que la chanson « Où étions-nous ? » revient sur la presque ascension de Jean-Marie Le Pen à la présidence de la République lors de l’élection de 2002.
Les succès reprennent et pour son album de 2007, « Gazoline », le groupe est invité à partager les parties françaises des tournées de Mötorhead et de Guns N’ Roses (avec qui il jouera au Zénith). L’album « Drugstore » de 2011 ne fait que confirmer sa position parmi les valeurs sûres du rock français – malgré un style de plus en plus tourné vers l’électronique.
Ce n’est qu’en 2015, avec le disque « Propaganda », que No One Is Innocent revient à un son plus épuré proche des débuts. Salué unanimement par la critique et les fans du groupe, l’album est aussi résolument politique, avec des hommages à « Charlie Hebdo » (dont les membres survivants seront invités sur scène, après les attentats du Bataclan). Le dernier album en date s’appelle « Frankenstein », et depuis, les joyeux gus sont en tournée pour le promouvoir et visiteront même la ville d’Esch-sur-Alzette.