Réfugié-e-s
 : Agir, maintenant, à tous les niveaux !

Serge Kollwelter, Pablo Sanchez, Jean Lichtfous / woxx

Face à l’afflux massif de réfugiés vers l’Europe et faute d’une réponse européenne adaptée, Serge Kollwelter, Pablo Sanchez et Jean Lichtfous estiment qu’il est indispensable de regrouper société civile et monde politique afin d’agir.

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42 réfugiés syriens sont arrivés au Luxembourg mardi… (Photo : SIP/Charles Caratini)

Nul besoin d’insister sur les dimensions européenne et luxembourgeoise du défi que pose de nos jours l’arrivée de réfugiés fuyant les persécutions comme la misère. Nos 70.000 compatriotes ayant quitté le Luxembourg au 19e siècle n’étaient pas persécutés, si ce n’est par la faim et l’absence de perspectives.

Le défi est d’envergure et se pose en premier lieu à l’Union européenne, qui se trouve dans une situation chaotique face à cette crise. Nous saluons les efforts de la présidence luxembourgeoise pour trouver une réponse immédiate, notamment à travers une répartition des réfugiés dans tous les États membres et une révision de la politique d’asile afin de définir une politique commune garantissant une procédure identique au sein de l’Union.

Pour commencer, penchons-nous sur les causes, volet généralement traité après les urgences, qui équivaut souvent à une remise aux calendes grecques de l’analyse.

Des causes…

Les femmes, hommes et enfants de Syrie qui fuient par millions la guerre sous le regard médusé, mais muet, des Nations unies, doivent bien aller quelque part. Les camps de réfugiés qui en accueillent des millions en Turquie, en Jordanie ou au Liban ne leur offrent que toit de tente et nourriture, mais pas de perspectives – si ce n’est de continuer le voyage vers l’Europe au péril de leurs vies. Somalie, Érythrée et Soudan : autant d’États à l’abandon, autant de milliers de jeunes en route vers la Turquie, l’Égypte et la Libye pour traverser la Méditerranée.

D’autres Subsahariens, ayant perdu emploi et raison d’être à cause des politiques de libre-échange avec, entre autres, l’Union européenne, dépensent des sommes astronomiques – réunies par leurs familles – pour traverser le désert et atteindre la Méditerranée. Les efforts de coopération au développement des pays de l’Union européenne ont diminué – hormis ceux du Luxembourg – et les pays plus ou moins dictatoriaux se soucient peu de leur jeunesse. Au contraire, en la laissant partir, ils espèrent se débarrasser de mécontents potentiels.

La conférence des 11 et 12 novembre prochains à La Valette doit réunir les gouvernements de l’Union européenne et ceux de l’Union africaine. Une nouvelle alliance pour un développement réel et durable y sera-t-elle scellée ?

Des flux…

Les flux en cours, s’ils ne relèvent pas d’une nouveauté d’un point de vue historique, envahissent nos foyers par des images télévisées dramatiques et rarement contextualisées. L’Europe vieillissante y est-elle préparée ? Si le continent a besoin de l’immigration, nombreux sont les États membres où la droite populiste, voire xénophobe, quand elle n’est pas au pouvoir, exerce du moins une influence nocive sur les autres forces politiques et sur l’opinion publique. Cette Europe ne dispose ni d’une politique d’asile, ni d’une politique d’immigration commune.

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… un bus avec une équipe de l’Olai et des bénévoles – dont ce médecin – les avait ramenés d’Allemagne… (Photo : CNRS)

Les flux de ces derniers mois amèneront-ils un changement de cap ? Un consortium international de journalistes (www.themigrantfiles.com) a estimé les dépenses effectuées afin de sécuriser les frontières extérieures de l’Europe depuis l’an 2000. Selon lui, 13 milliards d’euros ont été dépensés pour des retours forcés et pour la protection des frontières. De l’argent avec lequel un large éventail de firmes d’armement se sont enrichies. Pour le sauvetage des migrants en détresse, pas un seul euro ! Pour la même période, les bénéfices des passeurs s’élevaient à 16 milliards d’euros. Quel gâchis, avec 30.000 morts aux frontières et en Méditerranée à la clé !

Ouvrira-t-on enfin des voies légales d’immigration ? Bien entendu, voies légales ne signifie pas toutes portes ouvertes pour tous, mais un cadre légal pour l’immigration vers l’Europe. De telles voies pourraient freiner de façon significative les mafias des passeurs.

Gardons cependant en mémoire que, pour les milliers de réfugiés en route aujourd’hui, le passeur est le seul moyen de sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent, qu’elle soit de nature économique ou due à une guerre. Agir contre les passeurs, cela sonne bien. Leur obstruer certaines voies manu militari, c’est les guider vers d’autres chemins, plus périlleux encore, et plus chers ! Il ne faut pas oublier que les dégâts collatéraux seront inévitables : comment distinguer un bateau de pêcheur ayant sauvé des réfugiés et l’embarcation d’un passeur remplie de réfugiés ? Le risque de voir un navire de guerre couler un bateau de pêcheur ayant secouru des réfugiés semble bien trop grand !

Des demandes d’asile devraient pouvoir se faire auprès des ambassades dans les pays d’origine – alors que ces mêmes ambassades refusent trop souvent ne serait-ce que l’accès à leurs bureaux.

Des urgences…

Mais venons-en aux actions qui devront être menées d’urgence : en ce qui concerne l’Union européenne, il sera indispensable de développer en nombre suffisant des lieux d’accueil des migrants et réfugiés et d’en améliorer considérablement les conditions (abris, alimentation, eau, sanitaires, soins médicaux et psychologiques, accès aux procédures d’asile).

Une réponse solidaire des États membres est absolument nécessaire face à la catastrophe humanitaire que représente la « crise des réfugiés ». À défaut, les valeurs de solidarité sur lesquelles est bâtie l’Union européenne feraient naufrage elles aussi. Les nouveaux membres, à l’Est, devraient se souvenir que, à leur sortie du communisme, l’Union européenne les a tout naturellement soutenus. La solidarité n’est pas une valeur à sens unique !

Au lieu d’engorger les instances chargées du traitement des procédures d’asile avec les demandes des réfugiés syriens, un accueil prioritaire et facile devrait leur être accordé. Décréter les pays des Balkans comme « pays sûrs » accélérera la procédure d’asile de leurs ressortissants, mais ne les empêchera pas de fuir le chômage, la corruption et l’absence de perspectives. Ne faudrait-il pas mettre en place d’urgence un plan de développement économique pour ces pays, tout en gardant en mémoire les discriminations envers les populations roms ? Le taux de chômage énorme et la corruption endémique facilitée par certains organes de l’Union européenne dans les Balkans ne peuvent être écartés d’un revers de main par le simple fait que ces pays sont candidats à l’adhésion à l’UE.

Si des personnes opposées à la venue de réfugiés ont envahi les médias sociaux et sont parfois même passées à l’action violente, il ne faut pas oublier que la population allemande par exemple fait preuve d’une grande volonté d’accueil, et que les initiatives foisonnent outre-Moselle et ailleurs. Cette frange de la population a poussé les responsables politiques à augmenter leurs efforts.

Pourquoi pas un 
« Runder Tisch » ?

Des initiatives émergent aussi au grand-duché. Il serait utile de les fédérer, de les coordonner. À cette fin, ce que l’on appelle « Runder Tisch » en Allemagne pourrait réunir tous ceux qui, de façon officielle, professionnelle ou bénévole, doivent et veulent s’impliquer. Aucune initiative, aucune institution ne devrait en être exclue : l’Olai, les différentes organisations charitables, les organisations œuvrant pour la défense des droits de l’homme, le Syvicol ainsi que des initiatives comme « Refugees Welcome to Luxembourg », les sections jeunes des partis politiques, mais aussi tous les partis politiques, les syndicats et les employeurs pourraient en faire partie. Il faut surmonter les rigidités administratives et encourager les initiatives citoyennes.

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… où ils se trouvaient après avoir pu quitter la Hongrie. Sur la photo : une gare à Budapest. (Photo : Wikimedia/Rebecca Harms)

Il faudra rapidement trouver un terrain afin d’y installer le village de conteneurs envisagé. De préférence pas en pleine nature, comme à Marienthal. S’il y a une volonté d’intégrer ces personnes, autant leur permettre le contact avec la population résidente. Et pourquoi ne pas envisager un site du Fonds du Kirchberg ? Nul besoin d’incommoder une commune, le Fonds appartient à l’État. L’espace entre l’école européenne et Avallon a déjà abrité une série de conteneurs habitables ; un magasin de meubles vide à Béreldange, un site du ministère de l’Éducation nationale disponible après le déménagement de l’Ifen à Walferdange, le hall de l’ancienne faïencerie, tous ces endroits seraient préférables à des tentes. Avec son déménagement à Esch-Belval, l’université elle aussi libérera des espaces au Limpertsberg.

Un relevé des maisons appartenant aux communes et des presbytères vides doit être établi d’urgence, de même qu’une liste du nombre de réfugiés logés et des maisons mises à leur disposition par les communes. Revendiquer des quotas de répartition des réfugiés au niveau de l’Union européenne n’est cohérent que si le même critère s’applique aux communes luxembourgeoises. De même, les commissions consultatives d’intégration, obligatoires dans chaque commune, devraient être consultées afin de garantir des mesures d’intégration locales.

L’idée avancée par le premier ministre d’autoriser le logement de réfugiés auprès de particuliers devrait être mise en œuvre rapidement : ce qui est possible pour l’archevêque devrait l’être pour tous. Il y a des années, la Croix-Rouge gérait un projet d’accueil à domicile nommé « Oppe Famill » – pourquoi ne pas le réactiver ?

Il y a des solutions

Et si on réduisait le temps d’attente des réfugiés avant leur accès au marché du travail, tout en supprimant en même temps la priorité communautaire, avec cours de langue à l’appui ? Les réfugiés reconnus et attribués au Luxembourg à travers un système de quotas devront pouvoir bénéficier de cours de langue et de formations intensives pour pouvoir intégrer de plain-pied tant la société luxembourgeoise que le marché du travail. Enfin, un site de collecte et de partage d’informations, de bonnes pratiques, d’initiatives en cours pourrait être mis en place.

Plein d’idées pourraient émerger d’un « Runder Tisch », les unes pouvant être réalisées grâce à des particuliers, les autres grâce aux responsables communaux et gouvernementaux. Il y a urgence, oui, mais il y a de nombreux bénévoles prêts à agir. Profitons de cet essor et structurons-le !

Un grand effort d’explication de la part des médias et des responsables politiques sera nécessaire. Les réfugiés devront être invités à partager leur vécu avec la population résidente, et ce dans la dignité et le respect mutuel. Les 25 euros d’argent de poche mensuels dont « bénéficient » actuellement les demandeurs d’asile ne peuvent guère contribuer à cette dignité.

Et enfin, pourquoi ne pas réactiver l’accord de main-d’œuvre conclu en 1972 avec la Yougoslavie de l’époque, afin d’ouvrir des canaux légaux aux ressortissants des États qui lui ont succédé ?

Agissons, maintenant ! Ensemble et à tous les niveaux !


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