Sculpture : La sève des 
défauts

À la galerie Simoncini, Jhemp Bastin poursuit son cheminement à travers la forêt en transformant troncs et branches en sculptures équilibristes qui réchauffent.

Photos : woxx

Sa dernière exposition rue Notre-Dame avait fait titrer au woxx il y a presque trois ans « De chêne et de hêtre ». Cette fois s’ajoutent d’autres essences : le charme notamment, une espèce plus difficile à travailler car plus dure, mais aussi le robinier et le noyer. Tout se passe, de fait, comme si l’artiste luxembourgeois avait souhaité proposer une sorte de changement dans la continuité, afin de mimer la croissance lente des arbres, ces végétaux auxquels il a décidé de se consacrer. En effet, on retrouve les grilles creusées dans le bois, les entailles qui forment de drôles de serpents forestiers, les troncs ouvragés tout en hauteur, etc. Tout ce qui constitue désormais la marque de fabrique de Jhemp Bastin, en somme. S’y reconnaît également le souci de magnifier ce qui pourrait sembler des défauts pour un menuisier, voire un bûcheron : quelques socles portent encore les traces de champignons parasites du bois, par exemple. Loin de desservir l’œuvre d’art, ceux-ci apportent un grain tout particulier qui contraste avec d’autres armatures aux fibres impeccablement réparties. Comme si le sculpteur avait voulu tirer la substantifique moelle – ou plutôt la substantifique sève – des caprices de la nature.

La continuité est à l’œuvre dans les techniques utilisées : le brûlage superficiel au chalumeau suivi d’un traitement à l’huile de lin propose des surfaces noires et lisses, sans accrocs, tandis que la carbonisation contrôlée puis interrompue par arrosage garantit des textures qui se rapprochent du charbon. Mais à l’instar de la nouvelle diversité des espèces végétales, quelques nouvelles techniques viennent s’ajouter à la palette de l’artiste. Celles-ci culminent dans la série « Transparent Blocks », où de fines lamelles carbonisées assurent souvent la liaison entre deux blocs bruts de tronc, qui semblent bien lourds en comparaison. Une sensation de fragilité se dégage alors de ces sculptures qu’on imagine en équilibre instable. En vérité, la résistance impressionnante des fibres du bois permet ce jeu avec notre œil ; on peut manipuler les œuvres à volonté (lorsqu’on en est propriétaire, s’entend) sans qu’elles se brisent. On ressent cependant qu’il est nécessaire de contrôler avec soin la carbonisation des lamelles, et que quelques pièces doivent manquer le subtil équilibre durant leur conception. Pas tant que ça, précise Ingrid Anders, qui gère la galerie : Jhemp Bastin a perfectionné sa technique… et dispose de toute façon d’un poêle à bois pour se chauffer, en cas de ratés !

Chaleur enveloppante

L’équilibre, c’est ce qui frappe également en regardant les sculptures de plus grande taille. Comment ces troncs immenses parviennent-ils à se maintenir droits, tout ouvragés et creusés qu’ils sont ? Il faut y voir bien sûr l’expérience de l’artiste et la résistance des socles étudiés pour la circonstance. Mais aussi, on l’a observé, la solidité à toute épreuve des arbres, quand bien même on penserait d’eux qu’ils sont fragiles. C’est d’ailleurs l’impression d’ensemble qui ressort de l’exposition : quoi que l’artiste fasse subir aux végétaux qu’il récupère, même si ceux-ci semblent frappés par la foudre en raison de ce noir qu’ils arborent en partie, ils se tiennent toujours en majesté, rappelant leur fonction vitale pour notre espèce.

Il est agréable de déambuler dans cette forêt transformée mais pas artificielle, entre noir de charbon et couleur naturelle du bois, tout juste rehaussée par une pointe de bleu au mur dans deux curieux tableaux. Déjà, un genre de chaleur enveloppante se dégage de l’ensemble, en raison des processus de combustion nécessaires à sa confection. Et puis il faut tourner autour des œuvres pour en découvrir les innombrables facettes. Car les grilles creusées dans les troncs, tels des moucharabiehs, réservent des surprises, assurant des regards sur d’autres pièces ou bouchant la vue selon l’angle sous lequel on les observe – là aussi, il s’agit d’une constante du travail de Jhemp Bastin qu’il est sympathique de retrouver. S’il n’y a pas de feuilles ni de fleurs dans la galerie, la sensation forestière est cependant bien présente. Celles et ceux que les arbres fascinent en ressortiront à coup sûr enthousiastes, mais l’exposition comblera quiconque aura la bonne idée de la visiter après avoir subi les sapins kitsch du marché de Noël.

Jusqu’au 15 janvier 2023 à la galerie Simoncini.

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