Série « Après les papiers » (2/4)
 : Jamais de regrets

Aubert est originaire de Côte d‘Ivoire. Il est arrivé au Luxembourg avec sa femme en 2008 et a reçu ses papiers deux ans plus tard. Il revient ici sur sur sa vie depuis qu‘il a quitté son pays d‘origine.

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La ville natale d’Aubert, Man, est célèbre pour ses cascades. (Photo : Markos Kavesna/flickr)

Mon épouse, enceinte, et moi sommes arrivés en mai 2008. Des amis nous avaient aidé à quitter la Côte d’Ivoire. Après une première étape en Italie et un long voyage en voiture, nous nous sommes retrouvés à la gare de Luxembourg. C’était un jour ouvrable, tôt le matin. Un jeune africain a pris le bus avec nous et nous a accompagnés au ministère des Affaires étrangères.

Nous avons obtenu le statut de réfugié reconnu en automne 2010. La « courte » durée de l’attente n’a en rien atténué le stress propre à la condition des demandeurs d’asile. Peu importe le nombre d’années que ça dure, c’est toujours difficile. Je connais des personnes dont la demande n’a pas abouti et qui sont ici depuis plus de dix ans. Je me mets à leur place et je comprends leur désarroi.

Les premières semaines, nous avons été au foyer Don Bosco. En décembre 2008, nous avons été transférés au foyer de Müllerthal. En novembre 2009, notre fils est né. Un an et demi plus tard est né le cadet. Pour le premier accouchement, nous sommes allés à la maternité en ambulance. La deuxième fois, c’est une amie qui a accompagné ma femme. Avant la fermeture du foyer de Müllerthal, nous avons été transférés au foyer de Differdange et peu de temps après nous avons reçu les papiers. Cette nouvelle étape a enfin permis l’arrivée de notre fille aînée, qui était restée en Côte d’Ivoire.

« Peu importe le nombre d’années que ça dure, c’est toujours difficile. »

Les conditions dans les foyers n’étaient pas idéales, mais dans la vie, on ne peut pas tout avoir. J’essaye toujours de créer un environnement propice pour moi et ma famille, où que nous soyons.

Obtenir les papiers marque la fin d’une étape et le début d’une autre. La principale difficulté, c’est de trouver un emploi. Malgré leur formation dans leur pays d’origine, beaucoup de personnes sont réduites à faire du ménage, car leurs diplômes ne sont pas reconnus. Et pourtant, les équivalences, ça existe !

Souvent il faut se contenter de petits boulots de nettoyage, de dépannage, garder des enfants… La plupart des personnes qui ont obtenu les papiers se trouvent – du moins dans un premier temps – dans cette situation de sous-emploi précaire.

Mon cas fait partie des plus rares. J’ai la chance de travailler dans un domaine qui correspond à peu près à ma formation. Malgré cela, je suis sous-employé, car dans mon travail, je ne mets pas en évidence mes compétences. J’espère trouver quelque chose qui me corresponde davantage un jour .

Pourtant, je suis conscient de la chance que j’ai. Je ne connaissais pas mon futur employeur. J’avais envoyé des CV et mon profil l’a intéressé. Il m’a contacté et aussitôt embauché. Je l’ai mis au courant de ma situation. Il a donc fait preuve d’ouverture d’esprit et je me suis dit qu’il voulait m’aider.

Sans doute, en tant qu’homme, j’ai eu plus de chance que mon épouse, qui, avant de trouver un vrai emploi, a dû faire le ménage pendant huit mois.

« Les séquelles de la colonisation sont encore bien présentes. »

Une fois qu’on a les papiers, il faut entrer dans le circuit économique. Dans un premier temps, vous êtes obligé d’accepter tout ce qui se présente : il faut payer le loyer et s’occuper des enfants, comme tout le monde. Et puis, petit à petit, vous essayez de trouver quelque chose de meilleur.

Les deux garçons aiment bien aller à l’école, ils ont plein d’amis et sont épanouis. Ils ont des copains d’origines très diverses. Le meilleur ami d’un de mes fils, c’est un enfant d’origine portugaise !

Notre fille aînée était restée en Côte d’Ivoire, chez ma mère. Quand nous avons obtenu le statut de réfugiés, nous avons initié les démarches pour le regroupement familial. La première condition requise, plus encore que d’avoir un travail, c’était d’avoir un logement. Quelques semaines après l’introduction de la demande, nous avons reçu la réponse et en 2011 notre fille, âgée de 12 ans à l’époque, est arrivée.

Les débuts ont été un peu difficiles pour elle : c’était le dépaysement total. Elle devait trouver ses repères dans cette nouvelle société. Puis, elle s’y est faite. Il faut penser que nous ne nous étions pas vus pendant cinq ans et ça n’avait pas été facile. C’est dur d’accepter des ruptures brusques, plus encore pour un enfant… Il a fallu faire un véritable travail psychologique.

Aujourd’hui, elle va très bien, elle est en 11e et veut devenir avocate. J’espère qu’elle tiendra la route !

Je suppose que nous prendrons la nationalité luxembourgeoise. Le Luxembourg est notre deuxième pays. Nous vivons ici, nous apprenons la langue et nous avons appris à connaitre les gens, nous sommes partie prenante du circuit économique, nous vivons comme tout le monde. D’ailleurs, je pense que la nouvelle loi ouvrira des perspectives par rapport au droit du sol… Prendre la nationalité du pays où l’on réside, c’est la chose la plus logique pour couronner ce parcours, pour devenir citoyens à part entière.

Mes enfants parlent mieux le luxembourgeois que le français. Une fois, j’ai même entendu le plus âgé de mes garçons parler luxembourgeois en plein rêve. Et parfois ils s’inspirent de la syntaxe luxembourgeoise quand ils parlent français ! En fait, ils sont africains d’origine, mais leur vie est ici.

Quand j’entends des nouvelles de mon pays, de ma famille ou de mes amis de là-bas qui vivent toujours des situations difficiles, cela me fait beaucoup de peine. Je me demande quand finiront toutes ces guerres, ces conflits, ces rébellions. Le problème, c’est les politiciens et leur attirance pour le pouvoir… Quand on y pense, qu’est-ce qui est à la source des conflits ? La manipulation de milliers de personnes analphabètes. Il y en a qui sont originaires du Nord, du Sud, d’autres qui sont musulmans ou chrétiens… Alors, les politiciens disent par exemple : « Je viens de votre région et on m’empêche d’être président ». Par sentimentalisme, vous vous sentez plus proche de la personne qui parle la même langue ou le même dialecte que vous.

« Je ne regrette rien, jamais. Je regarde toujours vers l’avant. »

Couloir du foyer du Müllerthal (hôtel des Cascades).

Couloir du foyer du Müllerthal (hôtel des Cascades).

Les séquelles de la colonisation sont encore bien présentes. Les pays colonisateurs ont toujours la mainmise sur le continent africain. On pourrait aller jusqu’à dire que ce sont les anciens colons qui continuent d’installer les présidents et de diriger les politiques des pays africains. D’ailleurs, les présidents africains, ils ont tous fait leurs études et habité pendant longtemps en Europe ou aux États-Unis… Avant de rentrer ils ont bien établi leurs alliances.

La coopération internationale, c’est bien, mais le changement ne peut s’opérer que sur place. Et la diaspora africaine, quels moyens de pression aurait-elle ?

Je rencontre souvent des demandeurs d’asile, surtout des Syriens et des Iraniens, et je discute avec eux. Je peux bien les comprendre, car je suis passé par la même situation.

Je suggère au gouvernement, en vue de mieux assurer l’accueil des nouvelles personnes demandeuses de protection internationale, de recruter des anciens demandeurs d’asile. Ils ont l’avantage d’avoir déjà vécu leur situation et ils pourraient donc contribuer à un meilleur encadrement des nouveaux arrivants et assurer la médiation entre eux et les administrations.

Je ne regrette rien, jamais. Je regarde toujours vers l’avant. Je vis ma vie tranquillement avec ma famille. Nous avons les mêmes problèmes que les autres et nous essayons de nous organiser pour que la vie soit la plus agréable possible.


Enfin, les papiers… et après ?

(Paca Rimbau Hernández) – Poussée par la pauvreté, la persécution ou encore la guerre, une personne quitte son lieu d’origine. Elle espère ainsi améliorer sa vie et celle de sa famille. Arrivée au Luxembourg, elle se retrouve soit sans papiers, soit demandeuse de protection internationale. Si tout va bien, un jour, la bonne nouvelle arrive : les papiers ! Et après ? En août, le woxx vous propose quatre témoignages à la première personne. Cette semaine, la parole est à Aubert, originaire de Côte d’Ivoire.


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