Série « Après les papiers » (4/4) 
: Jeunes et pleines d’espoir


Originaire de Santa Rita do Planalto (Brésil), Ronane est arrivée au Luxembourg en janvier 2003, à l’âge de 24 ans. En 2007, dans l’exposition « Retour de Babel », sa tête était cachée dans une boîte en carton. Plus maintenant.

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« Je suis une habitante du Luxembourg. » (Photo : © Andrés Lejona/CLAE/Retour de Babel 2007
)

Je viens de Santa Rita do Planalto, un très petit village d’Itanhém, dans l’État brésilien de Bahia. Ma meilleure amie, marraine de ma fille, s’était installée au Luxembourg et m’a suggéré de la rejoindre. Les conditions de vie chez moi étaient vraiment difficiles et je me suis décidée. Je suis arrivée au Luxembourg le 26 janvier 2003. J’ai laissé ma fille, âgée de 3 ans, avec mes parents.

Les débuts ont été pénibles. Ma fille me manquait, je ne connaissais pas ce milieu, j’étais très naïve. J’avais peur de tout : de la police, d’être renvoyée au Brésil… Bref, j’avais peur de vivre, je me sentais toujours bloquée. Si l’on vient dans un autre pays, c’est pour y vivre mieux que chez soi. Mais quand on n’a pas de papiers, on ne peut pas se sentir bien, on est toujours exclu de la société, de tout.

Je ne parlais que le portugais. Je me suis inscrite aux cours de français, mais je ne pouvais pas y aller fréquemment, à cause de mon travail. Certains de mes patrons m’ont aidée ; ils m’ont appris la prononciation et l’écriture. Aujourd’hui, je me débrouille plutôt bien. Et j’aime habiter au Luxembourg. C’est pourquoi j’y suis restée.

Malgré les mésaventures des premiers temps, j’ai vécu des moments gais. Pendant quelques mois, j’ai partagé une chambre avec deux autres filles brésiliennes qui, comme moi, étaient des « sans-papiers ». Nous n’avions rien, mais nous gardions notre bonne humeur et réussissions toujours à nous amuser. Nous étions pleines d’espoir et rêvions du jour où notre situation serait meilleure. Quand nous nous voyons maintenant, nous nous souvenons de ces moments avec un peu de nostalgie. Nous étions jeunes et avions beaucoup de force.

Dans le cadre de mon travail, j’ai rencontré toutes sortes de personnes. Certaines abusaient de ma condition de Brésilienne sans papiers, me faisaient travailler beaucoup et me payaient très mal. D’autres, par contre, se sont très bien comportées. Deux, en particulier, m’ont beaucoup aidée.

« J’avais peur de vivre. »

Une dame a ouvert un compte bancaire en mon nom, parce que je n’en avais pas le droit. Je lui donnais l’argent que je gagnais comme femme de ménage chez elle et chez d’autres patrons et elle le versait sur ce compte. C’est comme ça que j’ai pu réunir l’argent nécessaire pour aller au Brésil chercher ma fille.

Quand je suis rentrée chez mes parents, j’ai été confrontée à une réalité très dure : j’étais très heureuse de revoir ma fille, mais elle ne voulait pas rester avec moi. C’était compréhensible, après deux ans et dix mois d’absence. Mais, finalement, elle a dit qu’elle ne voulait pas que je reparte à nouveau sans elle. Depuis lors, nous ne nous sommes plus quittées.

Nous sommes arrivées ensemble au Luxembourg en octobre 2005. Ma fille a tout de suite commencé l’école. Trois mois plus tard, elle parlait luxembourgeois et pouvait écrire en allemand. Pourtant, l’institutrice la traitait de façon très discriminatoire. Après quelques mois, notre vie a subi un nouveau bouleversement. J’avais une relation et, avec mon partenaire, nous avions tout préparé pour accueillir ma fille. Mais il n’aimait pas cette nouvelle façon de vivre, avec un enfant. Nous nous disputions beaucoup, il me disait des choses comme « Si vous n’avez pas de papiers, vous n’êtes pas des gens » … Je n’ai plus supporté cette situation et je suis partie. Nous nous sommes retrouvées dans la rue.

Un jour, le propriétaire d’un restaurant, qui nous connaissait de vue car il nous voyait passer devant son restaurant lors de nos trajets vers l’école de ma fille, a remarqué que j’étais en train de pleurer et m’a demandé s’il pouvait m’aider. Je lui ai raconté mon problème et il m’a proposé d’occuper un studio au-dessus de son restaurant.

« C’est merveilleux de trouver des personnes qui vous disent : ‘Je veux vous aider.’ »

À cette même époque, un monsieur chez qui je faisais le ménage a lui aussi remarqué ma préoccupation. Quand il a appris ce qui m’arrivait, il m’a dit de chercher un logement convenable : il en payerait la caution.

C’est merveilleux de trouver, dans des moments de détresse, des personnes qui vous regardent et qui vous disent: « Je veux vous aider. » Je leur serai toujours reconnaissante.

En 2008, il y a eu une réforme de la loi sur l’immigration, qui prévoyait la régularisation des personnes qui étaient au Luxembourg avec leur famille. J’ai déposé mon dossier auprès de mon assistante sociale. Mais elle est partie en congé de maternité et son remplaçant n’a pas fait de suivi. Mon dossier est resté dans un tiroir pendant une année. Lorsque mon assistante sociale est revenue, le délai pour introduire la demande de régularisation avait expiré. De nouveau, mon espoir était tombé à l’eau, par négligence cette fois ! C’est sans doute à cause du stress que j’ai subi une profonde dépression, ce qui m’a obligée à rester en hôpital psychiatrique pendant trois semaines.

La même année, j’ai rencontré mon partenaire actuel, à l’époque lui aussi sans papiers. Notre fille est née en 2009. Un cadeau qui nous a remplis de bonheur.

Aujourd’hui, ma fille aînée a 17 ans. Elle est en onzième. Je lui ai toujours dit : « Si tu vas à l’école, tu dois étudier. Si je suis venue ici, c’est pour que tu puisses avoir une bonne éducation et que ta situation soit meilleure que la mienne. » Elle ne m’a jamais fait de reproches, même si elle n’a pas toujours reçu l’attention qu’elle méritait et que j’aurais souhaité lui accorder. Je suis très fière d’elle, qui a déjà vécu tellement de changements et de situations difficiles et qui m’a toujours soutenue, qui s’occupe de sa sœur et qui travaille bien à l’école.

« Je faisais le trajet en train, toujours avec la crainte des contrôles. »

Ronane en train de travailler dans son cabinet de pédicure médicale et manucure.

Ronane en train de travailler dans son cabinet de pédicure médicale et manucure.

Une fois, j’ai pleuré lorsque la maîtresse m’a félicitée pour les notes de ma fille. La maîtresse et la psychologue de l’école, étonnées, lui ont posé des questions. Elle me l’a raconté. Le lendemain, elle a apporté à l’école le volume de « Retour de Babel », de 2007, où une photo montre une maman et sa fille, têtes cachées dans des boîtes en carton. La maîtresse a compris.

J’ai commencé une formation en pédicure médicale, en me disant qu’ainsi je pourrais gagner ma vie tout en rendant service, surtout aux personnes âgées. Je me suis inscrite à Namur, avec l’aide de mon père, qui a demandé un crédit et m’a envoyé l’argent. Je faisais le trajet en train, toujours avec la crainte des contrôles. À l’école, j’ai dû me battre pour que mes camarades de classe me respectent. J’étais plus âgée que la plupart d’entre elles et ne parlais pas bien le français. Elles se moquaient souvent de moi. J’ai reçu mon diplôme en juin 2012. Ensuite, j’ai suivi plusieurs formations en onglerie. J’ai donc pu commencer une activité professionnelle mieux qualifiée, ce qui m’a bien aidée à obtenir, enfin, mes papiers, en avril 2013.

Aujourd’hui, presque quatorze ans après mon arrivée, je mène une vie comme jamais je n’ai pu mener. J’ai mon travail, et cette année je pourrai partir en vacances avec ma famille pour la deuxième fois de ma vie. À la maison, nous pouvons bien manger, mes enfants ne manquent de rien. Or, si j’avais su tout ce que j’allais devoir endurer pendant dix ans, je ne serais pas partie.

J’éprouve de l’empathie pour les personnes qui sont en train de vivre ce que j’ai vécu. Je m’informe sur les nouvelles lois. Maintenant, il est possible d’obtenir le permis de séjour si un des enfants est scolarisé depuis quatre ans. Mais est-ce que les législateurs et les associations imaginent l’enfer que quatre ans peuvent représenter, si on n’a pas de papiers ? Je critique la lenteur administrative et la négligence de beaucoup d’employés publics – mais aussi celle de certaines associations – qui touchent un bon salaire, mais ne s’intéressent pas sincèrement au sort des personnes en situation irrégulière ou précaire.

Mon message pour les personnes des pays tiers qui veulent venir au Luxembourg : informez-vous d’abord ! Et pour celles qui sont en situation irrégulière : gardez l’espoir, ne vous découragez pas !


Enfin, les papiers… et après ?

Poussée par la pauvreté, la persécution ou encore la guerre, une personne quitte son lieu d’origine. Elle espère ainsi améliorer sa vie et celle de sa famille. Arrivée au Luxembourg, elle se retrouve soit sans papiers soit demandeuse de protection internationale. Si tout va bien, un jour, la bonne nouvelle arrive : les papiers ! Et après ? En août, le woxx vous propose quatre témoignages à la première personne. Cette semaine, la parole est à Ronane, originaire du Brésil.


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