Sur Netflix, les trois saisons d’« Ozark » racontent le pari fou d’un conseiller financier banal : celui de blanchir de l’argent pour un cartel, avec l’aide de sa famille. Décrite comme un concurrent honorable à « Breaking Bad », la création américaine donne une autre version des crises relationnelles et du pouvoir de l’argent.

Les femmes décident et dictent le rythme de cette série éloquente. (Photo : Allociné)
Ces temps étranges de confinements européens et autres couvre-feux permettent à tout un chacun de se plonger dans l’imposant catalogue Netflix, et force est de constater qu’un des titres phares de la plateforme reste « Ozark ». La série thriller connaît un succès mondial et envahit les suggestions et recommandations de celles et ceux qui n’auraient pas encore entrepris le voyage vers le lac du même nom. Quelles peuvent être les raisons d’un tel phénomène ? La comparaison fréquente avec « Breaking Bad » fait-elle encore sens ? Explications.
Marty Byrde, personnage principal, est un père de famille comme les autres : son couple bat de l’aile, ses enfants entrent dans l’adolescence – bref, il vit une vie banale dans la banlieue de Chicago. Professionnellement, Marty est conseiller financier pour moyennes fortunes, et ses collaborateurs reconnaissent en lui un véritable as des chiffres et surtout de l’optimisation fiscale et autres opérations « magiques ». C’est ce talent et cette expérience pas comme les autres qui le mènent à une opportunité aussi attractive que dangereuse : blanchir l’argent sale du deuxième cartel mexicain le plus puissant. Le jeu en vaut la chandelle, tant le salaire promis est exaltant. Par ailleurs, pour un homme doué comme Marty, l’opération ne présente, apparemment, aucun risque : un job d’expert-comptable dans l’ombre du crime, sans contact avec la violence.
La première comparaison avec Walt de « Breaking Bad » intervient donc au cœur du scénario, et les deux séries mettent en scène ce même moment, ce même basculement d’une existence normale et innocente dans la spirale du crime organisé. D’ailleurs, dans les deux cas, les protagonistes n’ont rien de criminels endurcis. C’est en partie cela qui crée l’attachement que le public peut ressentir. Une fois le décor posé, le drame peut commencer. Les épreuves que la famille Byrde devra surmonter seront toujours à la hauteur des ambitions de Marty, exactement comme pour Walt du côté de Vince Gilligan, directeur de série pour « Breaking Bad ». Ceci étant dit, arrêtons là la comparaison. « Ozark » propose autre chose, et brille par d’autres aspects.
Il faut d’abord relever l’excellence de l’écriture des personnages secondaires. La galerie d’individus aidant, menaçant, maltraitant, aimant Marty est toujours égale dans sa qualité et dans son inspiration. Il devient vite difficile de distinguer les personnages occupant le premier plan de ceux plus discrets. L’exemple le plus éloquent reste le cas de Ruth Langmore, une jeune délinquante issue d’une famille de brigands. L’interprétation de l’actrice Julia Garner captive à chaque scène. Ruth est une vraie petite bombe, tant elle mêle tendresse et violence, assurance et fragilité, peur et fierté. Et c’est sûrement ici qu’« Ozark » marque le plus de points : les personnages féminins sont particulièrement réussis, qu’il s’agisse de Wendy, la femme de Marty, de l’explosive Darlene Snell que l’on se plaît à haïr puis à adorer, ou encore d’Helen Pierce, avec toute sa classe et sa froide détermination. Les femmes d’« Ozark » sont fortes, entreprenantes et éclipsent bien souvent les rôles masculins.
Le parti pris est donc de montrer à l’écran une progression psychologique propre à chaque personnage. Sur un schéma simple, c’est-à-dire le plus immédiatement visible, certains personnages s’améliorent et montrent une tendance vers le « bien ». Pour d’autres comme pour Marty, Helen et Wendy, c’est la pente infernale vers le crime, la violence et le meurtre. Dans cette constellation de conflits et de relations complexes, un personnage se détache dès son entrée en scène, et c’est un autre succès de Bill Dubuque, aux manettes d’« Ozark ». Le frère de Wendy, l’oncle des enfants et le beau-frère encombrant de Marty, débarque littéralement dans leurs vies et se met en tête de les sauver de la spirale criminelle dans laquelle ils se trouvent. Cette vocation honorable et l’humanité profonde qui animent les traits si expressifs de l’acteur Tom Pelphrey apportent un peu de lumière dans l’ombre bleue du lac Ozark. Ce personnage extrêmement attachant, toujours sur le fil du rasoir, condamné à la différence et au rejet en raison de sa bipolarité, est un modèle dramatique. Saluons au passage le courage de mettre en scène une maladie mentale dont on parle peu, car difficile à aborder. Cette touche finale à la tragédie psychologique finement mise en scène par Bill Dubuque résume bien ce qu’est « Ozark » : une représentation des tentations si irrésistibles de l’argent sale et des ravages familiaux que certains sont prêts à risquer pour des billets pleins de sang.