Miroir vers l’audience où le gouffre entre convictions et actes s’étale béant, « Pièce en plastique » est une intéressante production sur un texte parfois trop prévisible.

Photos : Bohumil Kostohryz
L’incommunicabilité au sein du couple, l’aliénation par le travail, les relations familiales tendues, la marchandisation universelle, les rapports de classes… n’en jetez plus ! Marius von Mayenburg, dans « Pièce en plastique », s’empare d’un nombre impressionnant de sujets de société pour titiller les consciences de ses spectatrices et spectateurs. Tout part de l’embauche par Michael et Ulrike – respectivement médecin et assistante personnelle d’un artiste médiatique – d’une femme de ménage censée les soulager. Leur quotidien est en effet coincé entre leurs horaires difficiles et la crise d’adolescence de leur fils. Sans compter, bien sûr, les frustrations habituelles de la classe moyenne : carrière professionnelle décevante ou illusions de jeunesse perdues. Jessica, la perle dénichée, va rapidement se rendre indispensable tant au couple qu’à Haulupa, le patron d’Ulrike, qui en fera sa muse.
Les histoires de femmes de ménage ou domestiques qui bouleversent l’équilibre précaire d’une famille ne manquent pas. Au cinéma, on pense notamment au très cruel « The Housemaid », venu de Corée du Sud ; mais plus récemment et sur la scène luxembourgeoise, on a pu voir « Du ciel », de Tullio Forgiarini. Marius von Mayenburg choisit de traiter le sujet sur le mode de la comédie de mœurs, égratignant gentiment ses personnages en révélant leurs travers et leurs contradictions. Le résultat fonctionne, puisque les rires fusent. Et la mécanique du cerveau s’active pour trouver, assez facilement, des similitudes entre nos propres comportements et les petits mensonges ou velléités sociales des protagonistes. Pourtant, les ressorts dramatiques très classiques et l’humour efficace mais souvent prévisible donnent une impression de sagesse qui dessert le texte. Peut-être cherche-t-il à traiter trop de sujets ? Oui, comme évoqué plus haut, il s’agit bien là de titiller les consciences – plutôt que de les provoquer. Étonnant, lorsqu’on connaît le goût de la metteuse en scène Marion Poppenborg pour les pièces déjantées.
La production tire le meilleur parti du texte du dramaturge allemand, malgré un certain décalage entre ce qu’on voit sur scène, plutôt débordant d’énergie, et ce qui est écrit. L’intérieur propret où trône une toile de Haulupa sera transformé par une intelligente réalisation de la scénographe Ruth Groß, afin de refléter le chaos apporté par Jessica. Dans ce rôle, Rosalie Maes, avare de mots, incarne avec soumission et fierté un personnage qui se plie aux bizarreries et aux errements idéologiques de son employeuse. Au fond, Jessica est la seule dont les névroses ne s’étalent pas au grand jour.
Peut-on faire de sa femme de ménage son amie, jusqu’à la tutoyer et lui offrir ses vêtements ? Marc Baum et Sascha Ley hésitent et s’écharpent dans le ton juste comme un couple à la dérive, mais pas trop encore. Antoine Morin s’amuse dans le rôle peu développé du fils. Mais la palme du charisme revient à Massimo Riggi, justement parce qu’il apporte ce grain de folie avec lequel Mayenburg louvoie dans le texte. Celui-là même que cherchait Marion Poppenborg, sûrement. Grâce à une équipe talentueuse, le moment passé au Centaure reste bien agréable, et les zygomatiques fonctionnent.