Une autre politique communale est possible (1/3)
 : Au cœur du processus démocratique

Les municipalités comme moteur du changement – c’est l’idée du « municipalisme ». Petit tour d’horizon et première partie de notre série estivale sur une « autre » politique communale, dans le cadre de notre couverture des élections communales.

« Assez d’excuses, nous voulons accueillir. » La maire 
de Barcelone, Ada Colau (troisième en partant de gauche), 
à une manifestation pour l’accueil de réfugiés. (Photo : © Ajuntament Barcelona)

Le 11 juin avait lieu le premier tour des élections législatives en France. Des élections marquées par une abstention record, qui allait dépasser les 50 pour cent au second tour. En parallèle, à Barcelone, se tenait le premier sommet mondial des « villes sans peur ». Former un réseau global de villes progressistes pour faire front commun face au néolibéralisme, mais aussi à la menace d’extrême droite, voilà l’idée derrière ce rendez-vous unique. Des maires, mais aussi des collectifs locaux de plus de 150 villes d’Europe, des États-Unis, d’Amérique latine, mais aussi de Syrie ou de Hong Kong s’y étaient retrouvés pour nouer des alliances et débattre des différentes approches progressistes de la politique municipale.

Le choix du lieu n’était pas un hasard : depuis mai 2015, la maire de Barcelone s’appelle Ada Colau. Militante féministe et pacifiste, elle a été l’une des fondatrices de la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire, luttant contre les expulsions de personnes ne pouvant plus rembourser leur dette hypothécaire, avant de devenir tête de liste de Barcelona en Comú, plateforme alliant plusieurs partis de gauche et écologistes et bénéficiant du soutien de Podemos. Elle remporte les élections municipales avec 25 pour cent des voix et est élue maire avec le soutien de la Gauche républicaine de Catalogne et du Parti des socialistes de Catalogne.

Et elle n’est pas la seule : alors que la « prise d’assaut » des institutions imaginée par Podemos échoue au niveau national, elle fonctionne au niveau local. Plusieurs grandes villes, dont Madrid, Barcelone, Valence et Saragosse, tombent entre les mains des successeurs idéologiques du mouvement des « Indignados ». Alors que la jeune formation se voit condamnée à rester dans l’opposition pendant quelques années au moins, ces villes deviennent des sortes de laboratoires et sont qualifiées de « villes rebelles ».

Miroir des rapports de forces

Démocratie participative, lutte contre la corruption, écologie et justice sociale : les idéaux progressistes se heurtent, dans le cadre des municipalités peut-être plus que dans la politique nationale, aux dures réalités du terrain. Comment, comme à Barcelone, faire face au tourisme de masse qui a un effet dévastateur autant sur le marché du logement que sur l’écologie et la qualité de vie tout en évitant de saper les bases économiques de la relative prospérité de la ville ? Et comment instaurer des mécanismes de justice sociale, comme une fiscalité municipale progressive, quand on est, comme à Saragosse, obligé de composer avec le PSOE, le parti socialiste espagnol peu enclin à ce genre de mesures ?

L’histoire des « villes rebelles » ne commence pas avec la marche triomphale des formations « En Común » en Espagne en 2015. Au moins depuis la création des communes par la Révolution française, le 14 décembre 1789, et l’institutionnalisation de la vie démocratique municipale qui l’accompagne, l’unité la plus petite de la démocratie représentative est le terrain de jeu des différentes forces sociétales et des luttes les plus diverses.

C’est que la ville, ou la commune, est en quelque sorte le miroir des rapports de forces qui règnent au sein d’une société tout entière. Ségrégation sociale ou ethnique, mainmise sur les biens communs par des entreprises privées ou encore harcèlement de rue : les grandes thématiques qui se retrouvent régulièrement au centre des débats nationaux ou internationaux prennent forme au niveau local. De par sa petite taille, la démocratie locale est perçue comme la plus « proche des gens » : ici, il est beaucoup plus facile pour tout un chacun d’intervenir ou au moins d’interpeller le ou la représentante élue. Si les deux grandes mouvances de gauche du 20e siècle, la social-démocratie et le marxisme, se sont toujours avant tout intéressées à la conquête du pouvoir au sein de l’État, l’anarchisme, mais aussi certains courants minoritaires du marxisme, se sont souvent tournés vers le niveau de décision local.

Une idée libertaire

Ainsi, au cours de la révolution espagnole de 1936, anarchistes et trotskystes se sont organisés en comités locaux, souvent appelés « comités de salut public ». Ce n’est donc pas par hasard que l’un des grands théoriciens du « municipalisme » moderne, mouvance visant à changer le monde à travers les municipalités, soit de tradition anarchiste : Murray Bookchin. Considéré comme le fondateur de l’« écologie sociale », le militant et essayiste américain a développé une théorie autour du « municipalisme libertaire » ou « communalisme ». Considérant que les grandes révolutions, à savoir la française et la russe, avaient été confisquées par des « tyrans », Bookchin argumentait que seule une décentralisation importante du pouvoir pourrait être, dans le futur, à même de neutraliser préventivement toute tentative de confiscation du pouvoir par une minorité.

(Illustration : © Transnational Institute of Social Ecology)

Alors que, aux yeux de Bookchin, le potentiel révolutionnaire du prolétariat industriel a disparu pour de nombreuses raisons et que la bureaucratisation de la société contribue à l’atomisation du lien social, le salut ne peut venir que de la ville ou du quartier, de la « Cité » ou de la « Polis ». Concrètement, il défend l’idée d’une « commune libre », où, organisés en assemblées, les citoyens décideraient eux-mêmes de tout ce qui touche à leur commune, mais aussi des positions à défendre au niveau intercommunal. Chaque commune élirait des délégués – révocables à tout moment, avec un mandat impératif et limité dans le temps – qui siégeraient au sein d’une confédération de communes. À long terme, ce modèle, qu’on qualifierait probablement de « bottom-up » de nos jours, pourrait, selon Murray Bookchin, remplacer l’État-nation en tant que cadre de souveraineté démocratique. Rien que ça.

Les travaux de Bookchin, mort en 2006, ont notamment influencé le mouvement zapatiste et les mouvements altermondialistes en général. En partant de l’idée, répandue au sein de la gauche alternative ou anticapitaliste à la fin des années 1990, que pour éviter la trajectoire qu’avait connue la révolution russe par exemple, il fallait tourner le dos à l’idée d’une conquête du pouvoir et plutôt construire un contre-pouvoir « d’en bas », les idées du « municipalisme libertaire » allaient exercer une certaine attirance sur ces mouvements. De nos jours, le confédéralisme démocratique expérimenté au Kurdistan syrien – le « Rojava » – puise lui aussi son inspiration dans les écrits de Murray Bookchin. Les forces kurdes le présentent d’ailleurs comme une alternative au modèle – obsolète – des États-nations au Moyen-Orient.

Si le municipalisme a longtemps été l’apanage des anarchistes et libertaires, il existe néanmoins une exception, en France : le « communisme municipal » prôné par le Parti communiste français. Changer concrètement la vie des couches populaires, mesurer le projet sociétal défendu par le parti à la réalité des municipalités, voilà l’idée développée par le PCF dans les années 1950. Mais le déclin du parti au niveau national semble peu à peu en avoir eu raison : des tensions sont apparues entre stratégie du parti au niveau national et réalité du terrain au niveau municipal, sur fond de repli dans les bastions déjà conquis. Si bien qu’aujourd’hui, si quelques-uns de ces bastions restent acquis au PCF, l’attirance pour ce concept semble fortement compromise.

Participation citoyenne

Le « municipalisme » – l’idée donc que les municipalités devraient se trouver au cœur du processus démocratique – ne puise pas seulement son inspiration dans les travaux du théoricien libertaire que fut Bookchin. Parfois, il peut être le résultat des pratiques de terrain. Ainsi, en 1989, la ville brésilienne de Porto Alegre fait naître le concept de « budget participatif ». En pleine démocratisation du pays après la fin de la dictature, le Partido dos Trabalhadores (PT) – le parti de Luiz Inácio « Lula » da Silva et de Dilma Rousseff – remporte les élections municipales de 1988 dans la ville du sud du Brésil. Appuyée par un tissu important de mouvements sociaux, dont l’influente Union des associations de résidents de Porto Alegre, la mairie conçoit un dispositif de contrôle populaire du budget municipal. Un dispositif renforcé et amélioré par la suite, qui se traduit par une vaste emprise des citoyens de la ville sur ce budget. Réunis en assemblées plénières régionales et thématiques, ils disposent d’un réel pouvoir.

L’implantation, dans la ville, du Forum social mondial à partir de 2001, contribuera à répandre le concept dans le monde. Si bien qu’en 2013, il atteint le Luxembourg. Depuis, la Ville de Luxembourg invite ses habitants à donner leur avis dans le cadre d’un « budget participatif » très allégé : les participants ne disposent que d’un pouvoir consultatif. À travers le monde, plus de 15.000 municipalités utilisent l’instrument du budget participatif.

Dans les « villes sans peur » dont les représentants étaient réunis à Barcelone du 9 au 11 juin, le budget participatif fait partie du répertoire standard. Pour pérenniser la participation citoyenne, les mairies Podemos misent sur des plateformes numériques permettant d’intégrer tout un chacun dans les processus de décision importants. Avec un bilan mitigé : un taux de participation d’un pour cent de la population représente déjà un succès. Mais l’implication des citoyens grandit avec le réel pouvoir décisionnaire qui leur est accordé. C’est du moins ce que défend le maire Podemos de Saint-Jacques-de-Compostelle, Martiño Noriega Sánchez, dans le « Monde Diplomatique » : pour lui, les outils de participation démocratique font leurs preuves au fur et à mesure « que les habitants auront pu constater que les propositions dont ils ont été les auteurs ont bien été adoptées et mises en place ».


Les communes, moteurs du changement ?

Les communes, plus petites unités démocratiques, peuvent-elles être à l’origine de la transition démocratique et écologique de nos sociétés ? C’est à cette question que nous tâcherons de trouver des débuts de réponses dans le cadre de cette série estivale composée de trois parties.


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