Le vote en faveur d’une directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises a été reporté à deux reprises en une semaine par les États membres. En cause, le refus de l’Allemagne, dont la position fait tache d’huile parmi les Vingt-Sept. Au Luxembourg, la société civile mobilisée en faveur du texte attend du gouvernement qu’il affiche clairement ses intentions.
Le vendredi 9 février devait être à la fois une date importante et une formalité sur le chemin vers une adoption définitive de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD). Mais les ambassadeurs des Vingt-Sept, réunis au sein du Comité des représentants permanents, n’ont finalement pas validé l’accord trouvé mi-décembre par le Conseil et le Parlement. Cette législation, revendiquée par de larges pans de la société civile européenne, doit obliger les entreprises à respecter les droits humains et l’environnement dans leurs activités. Pour être adopté, l’accord nécessite l’approbation de 15 États membres, représentant au moins 60 % de la population européenne.
Reporté à ce mercredi 14 février, le vote a une nouvelle fois été décalé et devrait, en principe, avoir lieu ce vendredi. À l’origine de ces atermoiements, le revirement de l’Allemagne, qui exige une nouvelle mouture du texte, pourtant âprement négocié pendant deux ans. C’est plus précisément le FDP, le parti libéral-démocrate, Petit Poucet de la coalition au pouvoir à Berlin, qui a fait capoter l’affaire. Il estime que, en l’état, le texte est de mauvaise qualité et il en impute la responsabilité à la précipitation de la présidence espagnole de l’UE, qui s’est achevée le 31 décembre, laquelle aurait voulu arracher cet accord à tout prix. En réalité, le très libéral FDP enfourche son cheval de bataille contre « la bureaucratie excessive de Bruxelles », que ce texte viendrait encore alourdir. Surtout, l’Allemagne n’a pas trouvé de majorité parmi les Vingt-Sept pour inclure de nouvelles règles destinées à réduire plus facilement la responsabilité légale des entreprises. La situation est d’autant plus paradoxale que les sociaux-démocrates du SPD, en particulier le ministre du Travail, Hubertus Heil, sont de fervents soutiens de cette législation européenne. Mais les règles internes de fonctionnement de la coalition prévoient que le gouvernement s’abstienne quand il y a désaccord entre les partis.
Le paradoxe luxembourgeois
Au Luxembourg, c’est un tout autre paradoxe qui irrite la société civile et l’opposition politique. Depuis des mois, le gouvernement souffle le chaud et le froid quant à ses intentions, n’exprimant pas clairement sa position, entre soutien et rejet. « Le précédent gouvernement ne voulait pas d’une législation exclusivement nationale, au prétexte que cela créerait un désavantage concurrentiel pour les entreprises luxembourgeoises. Il exigeait un texte au niveau européen et maintenant qu’un texte se présente, on voterait contre ? », tempêtait mercredi soir, quelques heures après le deuxième report du vote, Jean-Louis Zeien, porte-parole de l’Initiative pour un devoir de vigilance. Cette coalition de 17 organisations de la société civile luxembourgeoise déplore le manque de transparence du gouvernement, qui refuse de communiquer ses positions pendant les négociations et surtout ses intentions finales. En coulisses, le Luxembourg a plaidé pour l’exclusion du secteur financier du champ d’application de la directive et semble aujourd’hui vouloir protéger les soparfis, les sociétés de participations financières, qui se comptent par milliers au grand-duché, souvent sous forme de coquilles vides à usage exclusivement fiscal. « Cet argument ne tient pas, car très peu de soparfis seront concernées par le champ d’application de la directive, qui concerne les entreprises employant au moins 500 personnes et réalisant au minimum 150 millions d’euros de chiffre d’affaires par an », argumente Jean-Louis Zeien.
Cette semaine, la Commission consultative des droits de l’homme a également exhorté le gouvernement « à soutenir proactivement la directive, tout en encourageant les autres États membres à faire de même ». Pour obliger le gouvernement à sortir du bois, des députés Déi Gréng, Déi Lénk, LSAP et pirates l’ont interpellé par le biais de questions parlementaires. Auxquelles il sera bien obligé répondre.