Voyage organisé : Législatives : la drague électorale au Brésil fait pschitt

Au printemps, des politiques sont partis à la pêche aux voix auprès de néo-Luxembourgeois-es du Brésil. Cette population a récemment acquis la nationalité du grand-duché, à la faveur d’une filiation avec des ancêtres ayant émigré il y a parfois plus de 100 ans. Mais sur un potentiel de 19.000 électeurs et électrices, seul-es 188 voteront par correspondance aux législatives du 8 octobre.

Sven Clement lors de son voyage dans l’État brésilien de Santa Clara, en mai 2022. (Photo : capture d’écran Instagram)

À l’exception de Déi Lénk et du DP, tous les partis représentés à la Chambre se sont précipités au Brésil, fin mars, pour y glaner des voix en vue des élections législatives. Leur cible : une population néo-luxembourgeoise en constante hausse ces cinq dernières années, représentant près de 25.000 personnes, dont 19.000 seraient en âge de voter. Un vivier électoral non négligeable, alors que quelques centaines de voix peuvent faire basculer un siège dans la circonscription centre, où est comptabilisé le vote de ces électeurs et électrices un peu particuliers-ères. Au contraire des nationaux résidant sur le territoire luxembourgeois, le vote n’est pas obligatoire pour celles et ceux habitant à l’étranger.

Pour comprendre cette escapade politique au Brésil, il faut revenir à la loi sur la nationalité de 2006, portée par Luc Frieden, alors ministre de la Justice. Le désormais Spëtzekandidat CSV y avait glissé un article offrant aux « descendants en ligne directe d’un ancêtre qui possédait la nationalité luxembourgeoise à la date du 1er janvier 1900 » de recouvrer cette nationalité. Soit une application extrême du droit du sang, par saut générationnel. Des dizaines de milliers de personnes peuvent revendiquer la nationalité luxembourgeoise par cette procédure dite de recouvrement, particulièrement aux États-Unis et au Brésil, deux pays vers lesquels l’émigration fut massive au 19e siècle.

Des représentant-es de l’ADR, du CSV, de Déi Gréng, du LSAP et des pirates ont donc embarqué fin mars en direction de Florianópolis, capitale de l’État de Santa Catarina, dans le sud du Brésil. À l’origine de cette initiative, l’Association des citoyens luxembourgeois au Brésil (ACLux), « créée dans le but de réaliser la réintégration socioculturelle des descendants », rapporte son site internet. Le 1er avril, les partis y ont tenu, chacun à leur tour, un meeting électoral face à 600 personnes.

En s’y rendant, ils ont rompu un accord par lequel ils avaient fixé le déroulement de l’événement par visioconférence, afin d’éviter un voyage au bilan carbone désastreux. « Si les autres y vont et nous pas, on a l’impression de rater quelque chose et d’être perdants », a alors admis, sur le site virgule.lu, Fred Keup, tête de liste de l’ADR, qui avait dépêché un représentant dans cet État où Bolsonaro a récolté près de 70 % de suffrages à la dernière présidentielle. Les explications des autres partis sont plus alambiquées, renvoyant à l’insistance d’ACLux pour une rencontre en présentiel. Seuls les libéraux ont participé à la réunion par visioconférence, menée par Xavier Bettel, « le meilleur représentant du DP », dit au woxx Carole Hartmann, secrétaire générale du parti. Outre la question du bilan carbone, elle reconnaît aussi que l’emploi du temps du premier ministre ne permettait pas le déplacement.

Pour Déi Lénk, la « démarche 
est scandaleuse »

Au final, l’opération a fait pschitt, le vote par correspondance ne rassemblant que 188 Luxembourgeois-es du Brésil. Elle dévoile cependant le désir des politiques pour cet électorat. En août 2022, la ministre libérale des Finances avait célébré le « Luxembourg Fest » à Belgium Village, une localité de 2.300 habitants dans l’État américain du Wisconsin. Yuriko Backes y avait notamment croisé Sven Clement, ceint de son écharpe de député luxembourgeois. Le chef pirate se montre très ardent avec les néo-Luxembourgeois-es, puisqu’en mai de la même année il s’était déjà rendu à… Florianópolis, au Brésil, pour y multiplier les rencontres.

Photo : capture d’écran Instagram

Quoi qu’il en soit, le recouvrement de la nationalité luxembourgeoise fait bondir les chiffres de la diaspora. 130.469 Luxembourgeois-es résident désormais à l’étranger, selon le ministère des Affaires étrangères. Si la France (31.841 personnes) et la Belgique (26.666) concentrent le plus gros de ce contingent, le Brésil (25.587) arrive en troisième position, devant l’Allemagne (19.830) et les États-Unis (13.474). Mais cette communauté est très disparate, entre frontaliers-ères, authentiques expatrié-es, retraité-es et néo-Luxembourgeois-es. Pour les élections, seules 6.378 personnes participeront au vote par correspondance, indique le ministère d’État.

Néo-Luxembourgeoise arrivée au grand-duché en pleine pandémie, Roberta Züge, est la vice-présidente de l’ACLux, coorganisatrice, avec l’État de Santa Catarina, du voyage de mars dernier. Cette vétérinaire de 50 ans, désormais installée à Mersch, fustige les difficultés et lenteurs administratives opposées aux néo-Luxembourgeois-es : « Il faut neuf mois pour obtenir le passeport », sésame indispensable au vote par correspondance. Elle regrette l’éloignement du consulat du Luxembourg à Brasilia, la capitale fédérale située à 2.000 kilomètres de Santa Catarina. « Cela prend du temps et coûte cher », dit Roberta Züge, qui a, depuis, rejoint la liste pirate dans la circonscription Centre.

Reste Déi Lénk, le deuxième parti à ne pas avoir participé au raout brésilien du mois de mars, ni sur place ni par visioconférence. Le refus de la gauche de se rendre à Florianópolis ne tient pas qu’au bilan carbone engendré par le voyage. « Déi Lénk est préoccupé par l’ampleur des efforts fournis par les représentants de certains partis politiques pour grappiller des voix au Brésil et aux États-Unis », écrit le parti dans un communiqué du 5 septembre. Il raille l’échec de l’opération, mais ne s’en étonne pas, car « ces néo-Luxembourgeois ne sont pas ou très peu concernés par les décisions politiques prises au Luxembourg ».

« Dès 2006, nous étions opposés à cette loi, car elle promeut un droit du sang exacerbé, alors que nous défendons le droit du sol », rappelle David Wagner, tête de liste Déi Lénk dans le Centre. « Au Brésil, le nombre de néo-Luxembourgeois a explosé, car l’information s’est ébruitée, alors que la plupart pensaient être d’origine allemande en raison de la consonance germanique de leur nom », explique l’ancien député, dont l’épouse est d’origine brésilienne. Étant citoyen-nes de plein droit, « il est facile pour les néo-Luxembourgeois de venir, mais une fois au Luxembourg, il faut pouvoir y vivre et certains sont très vite perdus, d’autant qu’ils sont nombreux à ne parler que le portugais », poursuit David Wagner. Il pointe « la responsabilité de l’État qui leur donne des espoirs qui ne sont finalement pas comblés ».

Mais pour Déi Lénk, l’essentiel est ailleurs : « Cette démarche est d’autant plus scandaleuse qu’environ 50 % des habitants du Luxembourg n’ont pas le droit de vote parce qu’ils n’ont pas la nationalité », écrit le parti dans son communiqué. « Ces personnes auxquelles nous refusons le droit de vote habitent ici, travaillent ici, s’engagent ici, comme nous tous. Elles sont concernées au premier chef par les décisions politiques prises au Luxembourg et pour cette raison elles doivent pouvoir codécider », affirme Déi Lénk.

« Indépendamment des résultats du référendum de 2015, la question de la prise en compte des intérêts et besoins de toute la population reste une question fondamentale en matière de qualité de notre démocratie. Nous préconisons le droit de vote législatif pour tous les résidents », rappelle également l’Asti dans ses revendications aux partis politiques dans la perspective des législatives.

En tout état de cause, le déficit démocratique dénoncé tant par Déi Lénk que par l’Asti ne sera pas comblé par le vote de tous et toutes les néo-Luxembourgeois-es du monde.


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