ANDY BAUSCH: War Is Hell

Tout en nuances, Andy Bausch raconte l’épopée des Américains libérant le Luxembourg dans « Schockela, Knätschgummi a brong Puppelcher » – un véritable clash des cultures.

Le bon accueil des Américains ne devrait pas cacher les tensions sous-jacentes de la période difficile de l’après-guerre.

La libération appartient à ces pans de l’histoire du Luxembourg qui sont restés intouchés, car intouchables jusqu’à nos jours. Si elle est un fait indiscutable et omniprésent dans notre quotidien – quel petit bled grand-ducal ne possède pas sa rue de la Libération, ou rue General Patton ? – cela ne veut toujours pas dire que cette formidable épopée n’a pas connue ses zones d’ombre des deux côtés. Si Bausch ne touche pas au mérite des Américains qui ont laissé leur vie pour sauver notre petit pays du joug nazi, il colorie par petites touches un tableau historique qui a été – pendant bien trop longtemps – une fresque héroïque en noir et blanc.

D’abord, il montre que les Luxembourgeois, même s’ils étaient dans leur grande majorité favorables à l’entrée de l’armée américaine sur leur territoire, restaient tout de même sur leurs gardes. A l’ombre des scènes de grandes liesses qui se déroulaient dans les rues du grand-duché, persistent des doutes et des a priori. Car parmi les premiers soldats américains arrivant chez nous se trouvaient beaucoup de délinquants qui avaient troqué leur cellule contre un engagement sur le front européen. Autant dire que l’image du noble libérateur s’est aussi entâchée d’histoires de beuveries et de tapages commis par les troupes américaines. Et cela ne concernait pas seulement un Ernest Hemingway, brièvemment mentionné par Bausch pour avoir vidé la cave à vin d’un prêtre collaborateur et rempli les bouteilles vidées par son urine? Une anecdote surtout remise en valeur par le témoin le plus impressionnant déniché par Bausch : le photographe Tony Vaccharo, qui détestait Hemingway – tout comme Eisenhower – pour son admiration de la guerre. Pour lui, « War is hell », la guerre, c’est l’enfer.

Certes, cette impression venait aussi du fait que les Luxembourgeois, avant de se faire occuper par l’Allemagne nazie, étaient sous la férule d’un ultra-conservatisme aussi psychorigide que catholique, comme le rappelle l’écrivain Roger Manderscheid qui vient de nous quitter. Ainsi, les jeunes femmes qui se jetaient dans les bras des libérateurs étaient plutôt des marginales. Deux cas frappent d’emblée le spectateur : le récit d’une vieille femme qui se rappelle une fille de son quartier qu’elle décrit comme plutôt débile et qui fut parmi les premières à quitter le Luxembourg pour les States, sans pourtant y trouver le bonheur. Et celle de la rebelle qui s’est taillée à la première occasion et qui ne s’est jamais trouvée à l’aise lors de ses brefs retours. Certes, il y a aussi eu des success stories, mais comme le rappelle un témoin : « La majorité de nos filles étaient sérieuses ».

Un autre aspect que Bausch ne cache pas est le racisme anti-noir qui existait des deux côtés. Pour beaucoup de Luxembourgeois, l’entrée des Américains sur leur territoire coïncidait avec la première fois qu’ils voyaient un Noir. Leur éducation catholique leur avait inculqué que les Noirs étaient des barbares incultes, et les voir défiler devant leur porte a provoqué un choc. Surtout parce qu’ils ne se baladaient pas vêtus de plumes et de haillons, mais dans l’uniforme américain et distribuaient, comme les blancs, des bonbons et des chocolats. Le plus grand malheur était tout de même réservé aux enfants nés de l’union entre Luxembourgeoises et soldats de couleur noire. Les récits de quelques unes de ces victimes de racisme quasiment institutionnel est éloquent. Mais du côté américain, le phénomène était identique : les Noirs n’avaient pas le droit de monter au front et ne se chargeaient que du ravitaillement des héros de couleur blanche. De plus, ils vivaient séparés des autres soldats.

Mais un des aspects les plus intéressants, que Bausch n’a malheureusement pas approfondi, c’est la démystification de la restauration du pouvoir conservateur dans l’immédiat après-guerre et le retour de l’exil de la grande-duchesse Charlotte. Laisser témoigner une survivante qui dit que finalement Charlotte se l’est coulée douce à l’étranger, tandis qu’ici les gens mouraient, est un geste courageux dans une société qui n’aime toujours pas qu’on touche à l’hagiographie monarchique.

Il faut donc saluer l’effort d’Andy Bausch d’avoir revisité cette époque sans casser son importance, mais en lui enlevant une bonne partie de ce qui faisait de sa représentation une image d’Epinal.

A l’Utopolis, au CinéBelval, au Kinosch, au Starlight, au Scala, au Cinémaacher et au Kursaal.


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