CONGRÈS DÉI LÉNK: Le Petit Soir

Ils l’avaient attendu avec impatience, ce dimanche. Le déroulement du congrès à été à la hauteur des espoirs, le résultat des présidentielles françaises une grande déception.

Déi Lénk, un parti qui monte, qui monte.

« C’est carrément se foutre de la gueule des gens ! » Applaudissements. Tréis Gorza, l’experte de Déi Lénk pour le dossier des retraites, ne mâche pas ses mots. D’une voix rauque, elle résume le discours officiel sur la nécessité de la réforme qui fera baisser les pensions, puis lève le ton : « Ce n’est pas une fatalité. » Elle détaille comment la réforme prévue touchera tout le monde, accompagnant ses explications de petits gestes de la main droite. Et rajoute, levant le doigt : « Seuls les patrons ne payent rien, mais rien du tout. »

Tréis Gorza a vécu en première ligne des décennies de divisions et de rassemblements à gauche, elle s’est battue pour les droits des femmes comme pour les droits sociaux. La militante fait partie de ces cadres hautement politisés qui ont été à l’origine de Déi Lénk. Son apparence signale une personnalité à part : elle porte une ample veste en étoffe sombre, une longue écharpe ornée de motifs végétaux et un collier au long pendentif formé de segments tubulaires alternativement noirs et gris métallisé. Lorsqu’elle apostrophe ironiquement le ministre, elle l’appelle par son prénom : « Mars, nous le savons, se préoccupe infiniment de l’avenir de nos enfants. » Gorza termine en appelant à tout faire pour « couler la réforme ». La salle l’applaudit bien fort.

Rouge profond

Ce congrès est l’occasion pour Déi Lénk de s’affirmer comme force politique montante. Ses succès électoraux, le parti les doit sans doute aux sujets de justice sociale. Les résolutions et les discours d’aujourd’hui confirment ce positionnement en opposition frontale avec la politique gouvernementale. Plus de soixante personnes – moins d’un tiers de femmes – ont choisi de passer leur dimanche dans la grande salle de la Maison syndicale de Dudelange. Une grande banderole rouge disposée derrière la tribune annonce « Sozial an d’Offensiv », d’autres sont disposées sur les murs de la salle, alternant avec les affiches tout aussi rouges du maître des lieux, l’OGBL. Pas question d’enlever ou de recouvrir celles-ci – Déi Lénk est aujourd’hui le parti politiquement le plus proche du grand syndicat de gauche, traditionnellement allié au LSAP. Pour preuve, la présence lors du congrès de nombreux cadres de l’OGBL, jusqu’au secrétaire central responsable de l’aviation civile Hubert Hollerich.

Mais la radicalité de Déi Lénk s’étend également aux questions sociétales. Sur le droit de vote des étrangers, l’avortement, la laïcité, le parti n’hésite pas à formuler des demandes maximalistes. Une résolution sur la défense des libertés fondamentales et contre la surveillance généralisée vient d’être présentée par Claude Frentz. Il faisait partie des membres des « Jeunesses socialistes » qui, en 1999 avaient rejoint en bloc Déi Lénk. Frentz est connu pour ses contacts dans les milieux alternatifs, qu’il s’agisse d’écologistes, d’anarchistes ou de hackers. Le terme de « présomption d’innocence », employé dans sa résolution, donne à Tréis Gorza l’occasion de renchérir sur le sujet de la surveillance. Lors du débat sur les textes, elle raconte ce qui lui est arrivé quand elle a voulu assister à un concert du festival Zeltik : des « flics privés » avaient demandé de fouiller sa sacoche, sans raison apparente. Elle a refusé, et a fini par renoncer au spectacle après s’être fait rembourser son ticket. Ce qui a le plus fâché l’inoffensive mais irascible militante, c’est le véritable motif : « Il s’agissait de l’interdiction de rentrer de la nourriture. Ces flics privés ne servaient donc pas à assurer notre sécurité, mais à garantir les profits du marchand de saucisses à l’intérieur ! »

La police privée au service de l’ennemi de classe, l’audience aurait pu se satisfaire de cette illustration de la manière dont la présomption d’innocence est érodée si nous laissons faire. Or, une jeune femme a alors demandé la parole. Mirka Costanzi est montée à la tribune et a expliqué qu’elle allait souvent à des concerts, et qu’elle préférait qu’on fouille sa sacoche plutôt que de risquer que des allumés fassent entrer des armes dans l’enceinte. « Et puis, on ne peut pas contrôler que les personnes louches. » Rires dans la salle. Costanzi poursuit : « Non, je dis pas que les Lénk ont l’air louche, … mais donc, on contrôle tout le monde. »

Costanzi a récemment adhéré au parti. Elle est très active au sein de la section de Sanem, y a fait un bon score lors des élections et succédera sans doute au député Serge Urbany en tant que membre du conseil communal. Le fait que Déi Lénk recrute des personnes sans grande expérience politique antérieure modifie aussi la façon de débattre. Cela est plutôt ressenti comme un enrichissement, à un moment où la gauche radicale a le vent en poupe. Les militants luxembourgeois ont suivi avec admiration le succès médiatique de Jean-Luc Mélenchon et ses grands meetings, certains se sont même déplacés à Paris ou à Marseille.

Amère bolo

Pas étonnant qu’on retrouve le terme de « planification écologique », mis à la mode par le candidat français, dans un des amendements à la résolution « Sozial an d’Offensiv », proposé par David Wagner. Journaliste au woxx en semaine et politicien les week-ends et durant ses congés politiques, il fait aussi partie des « transfuges » de 1999 et se situe plutôt à la gauche du parti. Il le confirme en soumettant un autre amendement demandant la « socialisation du système financier » dans un contexte européen, alors que le texte initial ne prévoit que la réforme de la banque centrale, une taxation des transactions et la création d’un fonds de développement public. « Jusque-là, nous nous sommes contentés de proposer un pôle de financement public », remarque un intervenant, tandis qu’un autre s’interroge comment on « nationaliserait » à l’échelle européenne. Ce qui contribue à la confusion, c’est le fait que les amendements n’ont pas été distribués aux participants – pour des raisons techniques. On n’est pas chez les pirates, qui géraient leurs amendements sur un wiki – ici, il y a à peine une demi-douzaine d’ordinateurs portables dans la salle. « J’ai rien compris ; sur quoi on vote, là ? », proteste un participant énervé. Ce sera la dernière intervention qui mettra – presque – tout le monde d’accord : « Stratégiquement, il n’y a aucune raison pour qu’il existe une finance privée. » L’amendement est adopté, le capitalisme financier sera aboli…

« Du passé faisons table rase, foule esclave, debout ! debout ! » Après un tel vote, entonner l’Internationale paraît naturel. Tout le monde se lève, tous chantent, la plupart ont le poing levé. Ils doivent être nombreux à penser aux résultats des présidentielles françaises qui seront annoncés d’ici deux heures, avec l’espoir d’un bon score pour Mélenchon. Certains comptent même sur une surprise : les sondages officiels auraient occulté le vrai potentiel du candidat du Front de gauche, qui pourrait doubler Hollande. « Le monde va changer de base : nous ne sommes rien, soyons tout ! »

Vingt heures moins le quart, bistrot de la Maison syndicale. Dans un décor plutôt café du coin, une trentaine d’irréductibles se sont rassemblés le long de deux grandes tables pour manger des pâtes et suivre l’annonce des résultats à la télé. Jean-Laurent Redondo a consulté les derniers sondages sur son ipad : « Toujours que treize à seize », lance-t-il, pour Mélenchon et Marine Le Pen, s’entend. Serge Urbany se console en rappelant : « Il y a trois mois, on aurait signé des deux mains un tel résultat. »

Vingt heures. Hollande devant. Les applaudissements sont vite brisés par l’annonce du score de Le Pen, « le meilleur score pour le FN jamais obtenu ». Et seulement 11 pour cent pour le candidat du Front de gauche. Consternation. « Quelle horreur ! » Qu’on amène enfin les spaghetti avec une bolo bien rouge n’est qu’une faible consolation. Pendant une dizaine de minutes, on n’entend que le cliquetis des fourchettes, les bruits d’aspiration et les commentaires à la télé. Quand Mélenchon fait sa déclaration, les visages s’éclaircissent. « Nous avons été la force nouvelle, nous sommes la clé du résultat », dit-il avec conviction. Il appelle à se rassembler le 1er mai derrière les syndicats, puis le 6 pour battre Sarkozy – « sans rien demander en échange, et comme si c’était moi-même face à lui ». Rires et applaudissements. Quand les résultats ne sont pas encore ceux qu’on espérait, il reste encore la générosité et l’humour.

Les textes issus du congrès devraient bientôt être disponibles sur www.lenk.lu.


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