Photographie
 : Se réapproprier sa vie


« De sable et de vent », expo du photographe Vincenzo Cardile, livre un témoignage époustouflant de la vie de tous les jours dans un camp de réfugiés.

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Dans le champ de tension entre absence de perspectives et réappropriation de la vie quotidienne, Vincenzo Cardile met l’humain au centre de son intérêt.

Des tentes blanches, des vaches et du sable, beaucoup de sable. C’est le décor que pose l’expo « De sable et de vent », actuellement à voir au Centre de documentation sur les migrations humaines (CDMH) à Dudelange. Un ensemble de photographies prises à Mbera, dans le désert du sud-est de la Mauritanie, à la frontière avec le Mali. Mbera est le nom d’un camp de réfugiés originaires du Mali du Nord.

Ils ont fui les « événements » de 2012 : la guerre civile libyenne entraîne, à l’époque, la fuite de mercenaires touaregs au service de Kadhafi. Lourdement armés, ils rejoignent des factions combattantes au Mali. Islamistes et indépendantistes touaregs se soulèvent contre l’État central malien, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) déclare l’indépendance de l’Azawad, État touareg. La déclaration d’indépendance est suivie d’affrontements entre le MNLA et ses anciens alliés, les salafistes d’Ansar Dine.

Suite à l’entrée en guerre de la France, les troupes du gouvernement central peuvent regagner du terrain et, en 2013, un cessez-le-feu entre rebelles et gouvernement est signé. Néanmoins, les affrontements entre séparatistes touaregs et forces maliennes perdurent. Si un accord de paix est signé en juin 2015, des attentats et attaques ponctuelles de groupes armés islamistes persistent jusqu’à aujourd’hui.

« Je suis parti à Mbera une première fois en 2012, suite à la déclaration d’indépendance de l’Azawad », se rappelle le photographe Vincenzo Cardile. Les premières photos de « De sable et de vent » datent de cette époque, d’autres sont plus récentes : « Cette année, je m’y suis rendu une deuxième fois. » L’expo, qui a été montrée une première fois au Festival des migrations, puis à Metz, s’est étoffée au fur et à mesure. Et ce n’est pas fini : Cardile récolte des fonds afin de pouvoir retourner en Mauritanie dès que possible, afin d’y tourner un documentaire.

Le camp de réfugiés, qui compte aujourd’hui 70.000 habitants – au début, ils étaient 180.000 – et qui est géré par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), a changé depuis : « On est passé d’une phase d’urgence à une phase de stabilisation », commente Cardile.

« La vie commence à s’organiser, j’ai assisté à des mariages, des baptêmes, des naissances et des morts. » Que ses photos actent. « Ces gens qui n’ont pas de perspectives, qui savent déjà que leur vie ne sera plus jamais la même qu’avant et dont la trajectoire a brutalement changé de direction essayent de se réapproprier leurs vies. »

Dans le camp, qui a pris des allures de ville, le commerce s’organise, tout comme le maraîchage et l’élevage du bétail. Des relations sociales similaires à celles d’avant peuvent être observées. « Toutes les classes sociales sont représentées à Mbera », explique le photographe. « Les mêmes rapports sociaux que précédemment sont instaurés. »

Les habitants espèrent-ils bientôt pouvoir rentrer chez eux ? « Par moments, les gens sont partis parce que des bonnes nouvelles circulaient ; mais la plupart sont vite revenus. Une fois le camp quitté, on perd son statut de réfugié », détaille Cardile, qui est lui originaire de Sicile et qui, « dans une première vie », a été architecte, avant de se consacrer complètement à la photographie. « Les gens se construisent des réalités loin de chez eux. Il leur est impossible de faire des prévisions. Si un prisonnier, par exemple, connaît sa peine et sait quand il va pouvoir sortir de prison, pour un réfugié, l’enjeu est tout autre : il ne sait jamais ce que l’avenir lui apportera. »

C’est dans le champ de tension entre manque de perspectives et réappropriation de la vie quotidienne que se situent les photos de « De sable et de vent ». Avec, au centre de l’intérêt, l’humain sous toutes ses facettes. Des photos d’une rare beauté qui valent très certainement le détour à Dudelange.

Au Centre de documentation sur les migrations humaines à Dudelange,
jusqu’au 27 janvier.

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