Avec son troisième film, „Immortel“, Enki Bilal, prouve, s’il en était encore besoin, qu’il est plus qu’un auteur de BD s’essayant au septième Art. Il fait avancer le cinéma à sa manière, déposant, à l’instar de réalisateurs reconnus, une pierre à l’édifice de son évolution.

Jill (Linda Hardy), la femme élue par le dieu Horus. Elle ne connait ni son origine ni son destin.
New-York 2095. La Grande Pomme n’est plus le symbole d’une Amérique forte, elle est devenue la plaque tournante d’où convergent toutes les nationalités, les sortes d’humains partis à l’assaut du ciel. Ce ne sont plus les couleurs de peau qui se mêlent; on a depuis longtemps dépassé ce concept, le monde se divise maintenant en Humains, Mutants, Extraterrestres et Dieux pour lesquels les vieilles habitudes humaines de hiérarchisation sont cependant toujours de mise. Ici, l’ordre est vertical, chacun a sa place dans l’univers et pas question de se tromper d’étage!
Parmi les créatures de ce monde inspiré par la trilogie „Nikopol“ de Bilal himself, Horus, à corps humain et tête de faucon, dispose de sept jours pour préserver son immortalité en fécondant une femme capable d’engendrer un dieu. Pour ce faire, il lui faut d’abord investir le corps d’un homme à son goût, en l’occurrence un mystérieux serial killer. Bilal aborde ici ses thèmes de prédilection, l’insécurité qui suscite l’émoi dans une classe politique en pleine période électorale et le désarroi dans les services de police. Pendant qu’Horus jette finalement son dévolu sur un ancien rebelle, échappé du congélateur (la prison dont on ne revient pas), le spectateur se laisse emporter par une atmosphère proche de „Blade Runner“ plutôt que par l’intrigue. Voitures volantes, climat délétère, Etat corrompu, manipulé par le pouvoir économique et surtout pharmaceutique. Les services publics, de la police à l’urbanisme ne sont plus que de vagues souvenirs dans un corps social en état de décomposition avancée. Une vision futuriste et parfois prémonitoire qui a toujours fait partie des thèmes chers à l’auteur, même si le propos du film est avant tout basé sur la recherche identitaire, à savoir où se situe l’identité humaine dans un siècle où la biotechnologie et les manipulations génétiques ont pris le pouvoir: „En fait, s’il avait fallu adapter la trilogie Nikopol, il aurait fallu environ sept heures de film, je me suis donc concentré essentiellement sur ce qui me passionne maintenant. Au premier plan: une histoire d’amour hybride entre Jill et Horus. Au second plan : le futur de l’humain. J’ai immédiatement supprimé l’aspect idéo- logique présent dans la BD parce que cette politique à deux têtes, c’est du passé, nous sommes au XXIe siècle, le capitalisme a triomphé, on est dans la globalisation et la mondialisation. Je n’ai pas voulu parler de ce nouveau monde bipolaire qui est en train de se mettre en place, celui du bien et du mal où l’obscurantisme religieux, dont je traite déjà dans le ‚Sommeil du Monstre‘, entre en guerre avec le reste du monde. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’homme confronté à sa mutation, à l’eugénisme qui est en cours, à son refus du vieillissement, à la peau syn- thétique et à toutes ces choses-là.“
Si „Immortel“ ne laissera pas de souvenir impérissable du point de vue scénario, on ne peut que reconnaître son intérêt dans la façon dont l’image a été traitée. En effet, grâce à la fusion de prises de vue réelles et d’images virtuelles qui ne s’opposent pas, mais se fondent les unes dans les autres, Bilal matérialise par la forme tout le propos de son film, celui d’une identité de plus en plus hybride et son angoisse quant à l’évolution de la nature humaine.
Séverine Rossewy
Au Ciné Ariston, Esch-sur-Alzette.