Un film noir social qui décrit la tentative des exclus d’une société capitaliste de rebrousser chemin.
Une grande plaque en fer est déposée par un levage aimanté, un rideau de fer rouillé s’écroule d’une grue de chantier, tombe en soulevant de la poussière – puis la caméra tourne – gros plan de visages d’ouvriers aux regards égarés, privés de leur travail derrière une grille. Devant les portes fermées de la sidérurgie – que faire pour rebrousser chemin?
Dès le départ le cinéaste belge Lucas Belvaux amène le spectateur à l’intérieur de son récit situé à Liège – l’histoire d’un hold-up. C’est surtout aux motifs du crime que Belvaux s’intéresse. Dans l’introduction, il retrace longuement la vie quotidienne de ses personnages principales. Le jeune Patrick (Eric Caravaca) a trois licences, mais il ne trouve pas de travail et n’a pas d’argent. Ainsi il accompagne son fils à l’école, travaille dans son jardin ouvrier. Sa femme Carole par contre a un boulot dans une buanderie où elle bosse jusqu’à la fatigue. Jean-Pierre (Patrick Descamps) se trouve handicapé avec son fauteuil roulant et habite le vingtième étage dans un immeuble délabré, où l’ascenseur est souvent en panne. De sorte que son ami Robert (Claude Semal), chômeur âgé comme lui, le porte sur son dos jusqu’en bas. Marc (Lucas Belvaux lui-même) est employé sur une chaî ne d’embouteillage. Ancien criminel, il doit se présenter chaque jour à la préfecture de police et supporter des remarques dédaigneuses.
Un café à Liège est la place de rencontre pour Patrick, Jean-Pierre, Robert et Marc. Le film dresse un constat social: Ce qui unit ces hommes, ce n’est pas seulement le jeu de cartes au café, c’est aussi que chacun d’eux a subi son propre échec. Plus ou moins dégoûté du quotidien monotone et du manque d’argent, ces hommes rêvent d’une autre vie. Quand la mobylette de Carole ne fonctionne plus et que les économies ne suffisent plus pour en acheter une autre, les amis de la carte, décident de se baser sur les connaissances de Marc pour faire un hold-up. Des armes sont organisées, des moustaches de camouflage sont essayées. Belvaux examine en détail comment ses figures se transforment lentement – emportées par un nouvel espoir, un activisme parfois même enfantin, qui leur fait oublier qu’elles se précipitent dans l’illégalité, vers une vraie catastrophe.
„La raison du plus faible“, le sixième long métrage du cinéaste belge Lucas Belvaux, figurait en compétition officielle au festival de Cannes 2006. Le réalisateur porte son regard sur ceux que le chômage a laissés au bord de la route – humiliés. Belvaux nous montre comment de braves gens deviennent des gangsters en décrivant un environnement dont ils ne peuvent s’échapper. Que se soient leur logements respectifs, les mêmes rituels étriqués de tous les jours, les immeubles et les usines qui empêchent de voir plus loin, les trains, qui ne font que passer – ces hommes n’ont aucun moyen de s’en sortir. Un ascenseur en panne, un scooter deviennent alors les gouttes qui font déborder le vase.
Quelle est cette raison du plus faible? C’est l’aspect financier et le désir d’un devoir qui permettent d’être quelqu’un – mais aussi un besoin de dignité. Par le crime, ils expriment leur volonté d’agir sur le monde. La chute des joueurs de cartes est aussi le miroir d’une paupérisation où l’Etat social ne fonctionne que si l’on fait encore parti de l’économie. „J’ai peur que nous conduisons vers une société, qui tolère où plutôt qui accepte que ses membres les plus fragiles, doivent s’occuper d’eux mêmes. Peu à peu les gens au bord de la société (Ù) ne vont plus croire à la démocratie.“, dit Belvaux. Ainsi le film touche le nerf du temps: il correspond à un sentiment d’angoisse existentielle qui règne dans beaucoup de pays, causé par un taux de chômage en croissance qui touche les plus jeunes comme les plus âgés. Par dessus tout, ce film sobre, interprété par de formidables acteurs, décrit la solidarité et l’amitié entre confrères qui tentent l’impossible pour retrouver une vie meilleur.