Stay est un de ces films qu’on n’est pas prêts à oublier. Non pas pour les émotions fortes qu’on éprouve, mais pour les conclusions multiples à en tirer.
Ce film ne dure que dix minutes. En temps réel. Le temps d’une agonie sur le pont de Brooklyn. Mais quelle réalité? Ce film est profondément bouddhiste. Pourtant il n’est pas vraiment le genre d’oeuvre qui invite à rester zen. Au contraire, Stay retire au spectateur tout sentiment de sécurité dans l’organisation de sa vie en lui ôtant l’assurance de tout point d’accroche avec la réalité. En somme une interprétation occidentale et tragique des vieilles sagesses asiatiques, qui tirent tout leur réconfort de l’illusion de la réalité.
Et ce n’est qu’une des choses qu’on peut dire de ce film, qui est sûrement un des rares méritant vraiment le label de cinéma contemporain. D’abord, l’usage de la nouvelle technologie numérique, qui pour une fois ne soumet pas l’histoire à ses gadgets et lubies mais la complète et se rend même indispensable. Personne ne pourra plus dire que le „vrai“ cinéma serait celui qui sait se passer des effets numériques. Car dans Stay ils sont bien plus qu’une illustration: ils font du sens. Ils donnent même du sens aux images, en les filtrant, en leur ôtant leurs prétentions au réalisme. Quand les bretelles du pont de Brooklyn s’enveloppent d’une matière gélatineuse, qui fait penser à des méduses, on est loin des poissons qui traversent le ciel nocturne d’un Arizona Dream de Kusturica. Ce ne sont pas des effets poétiques, mais des traductions littérales de ce qui se passe au moment même. Difficile à imaginer? Il faut avoir vu pour comprendre.
Et puis l’histoire du film, qui n’en est pas une, pas deux mais une explosion-implosion à la fois. Toutefois il ne s’agit pas d’un remake de Magnolia, où le spectateur pouvait avoir parfois du mal à suivre, mais où le fil rouge de la logique lui restait pourtant toujours noué à la main. Disons qu’il s’agit plutôt d’un groupe de poupées russes, dont la dernière aurait commis un attentat suicide. Le tout filmé au moment de l’explosion du groupe entier. Tous les personnages sont multiples, non pas interchangeables mais interdépendants. Ils n’existent pas l’un sans l’autre, même s’ils ne savent souvent pas qui ils sont. On ne peut pas s’astreindre ici de dispenser un peu de philosophie, car c’est aussi cela Stay: un essai rendu réalité cinématographique. Si une histoire classique fonctionne comme un arbre avec ses racines et ses dépendances, Stay représente une racine plate et souterraine où aucun élément est en-dessous de l’autre, mais tous sont interdépendants. En fait comme une racine de champignon, appelée aussi rhizome … et donc un des essais les plus connus des deux enfants terribles de la philosophie post-moderne qu’étaient Gilles Deleuze et Félix Guattari. Le point de commencement étant celui de la mort, de la fin d’un jeune homme blessé dans un accident et dont partent tous les fils qui se dénouent et se rembobinent à tour de rôle.
On peut dès à présent gager que ce film fera l’objet de toute une série d’analyses universitaires et qu’il sera rangé parmi les „grands“, comme Mulholland Drive de David Lynch ou Le Mépris de Jean-Luc Godard. Même s’il ne joue pas sur les mêmes régistres que ces derniers, le film de Marc Forster est une méditation géniale sur l’espace-temps et l’infini des possibilités qu’il renferme.
D’autant plus que le choix des acteurs n’est pas non plus un hasard. Naomi Watts, rendue célèbre pour son rôle dans Mulholland Drive justement, sait mettre en valeur toutes les nuances de sa fragile et insolite beauté. Tandis que le jeune Ryan Gosling brille dans son interprétation de beau ténébreux à double-fond. Quant à Ewan McGregor, il est parfait dans son rôle de psychiatre-détective perdant peu à peu les répères. Dans sa naï vité il devient vite la seule personne de référence du spectateur, sans pourtant pouvoir le guider vers l’issue finale.
En somme, un film à voir et à revoir.