RACHID BOUCHAREB: Indigènes

Rachid Bouchareb retrace l’histoire des soldats africains qui contribuèrent à la libération de la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Car l’empire colonial
ne se montra guère reconnaissant.

Ils ont traversé la Méditerranée pour libérer la France qui les oubliera.

A quoi pense un Marseillais à l’évocation de sa „mère patrie“? A la Grèce, évidemment. Pourtant, sa ville est française depuis plusieurs siècles déjà. Beaucoup plus longtemps que ne l’étaient les territoires d’Afrique de l’empire colonial français. En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, ils étaient environ 80.000 Africains du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne à traverser la Méditerranée pour sauver leur „mère patrie“ – la France – de l’ennemi nazi. Puisqu’on vous dit que la colonisation avait des aspects positifs: elle a permis de gonfler les troupes anti-nazies en faisant combattre côte à côte Européens et colonisés. Côte à côte? Disons plutôt en seconde, respectivement en première ligne.

„Indigènes“ n’a pas volé son quadruple prix d’interprétation masculine au festival de Cannes. Avec Messaoud (Roshdy Zem), qui tombe amoureux d’une Française lors de la libération de Marseille, Abdelkader (Sami Bouajila), le caporal ambitieux mais néanmoins idéaliste et révolté, Saïd (Jamel Debbouze) l’illettré chétif mais brave et Yassir (Sami Naceri), appâté par le gain mais pas trop malhonnête, le film met en scène un quatuor sublime et crédible. Plus intéressant encore, Indigènes n’est pas tombé dans l’écueil de la facilité, chantant l’hymne d’héros oubliés et maltraités. Certes, les quatre protagonistes sont loin d’être des salauds. Mais ils ne sont pas plus dépeints en surhommes dont l’engagement dans l’armée aurait été libre de toute considération pour l’amélioration de leur propre situation.

D’ailleurs, le personnage du sergent Martinez (Bernard Blancan) représente une heureuse synthèse des conditions contraires des colonisateurs et des colonisés. Pied-noir, il jouit d’un statut plus favorable que les „Musulmans“, mais constate aussi qu’il n’est pas considéré comme métropolitain. Ainsi, s’il interdit à ses compatriotes de traiter ses hommes de „bougnoules“, il accepte néanmoins que ces derniers n’aient pas droit aux tomates – réservées aux „Blancs“ – lors des repas. Vexation qui provoquera la première révolte des soldats africains. A l’instar de ses camarades de régiment africains, Martinez voit aussi son avancement dans la hierarchie militaire traîner. Avant d’être appliquée au petit écran, la logique des quotas – négatif dans ce cas-ci – était déjà à l’oeuvre au sein de l’armée.

Indigènes de Rachid Bouchareb n’est pas seulement un film. Ce n’est même pas une simple réhabilitation des „oubliés“ de l’histoire, dans la lignée d’un „Land and Freedom“ de Ken Loach. Indigènes est un acte militant, qui rappelle à la France républicaine que sa
devise – liberté, égalité, fraternité – n’a jamais été bien plus que trois mots. En effet, non seulement la participation des „Africains“ pendant la seconde guerre mondiale n’est toujours pas au programme des cours d’histoire dans les lycées de l’Hexagone. Pire, ces anciens soldats ont été laissés tomber par la France au moment où les colonies reprenaient leurs destins en main. Mesquine, la France décida en 1959, en pleine décolonisation, d’amputer les retraites des soldats des colonies par rapport à celles des Français de métropole, sous prétexte de les adapter à la réalité des prix locaux. Cette injustice n’a toujours pas été redressée – en 2002, le conseil d’Etat a sommé le gouvernement de revenir sur cette disposition. Peine perdue jusqu’à présent. Le film a néanmoins contribué à convaincre Jacques Chirac, toujours soucieux de son image, d’agir en la matière. Par ailleurs, Indigènes tombe à point nommé dans une France séduite par la vague lepéno-sarkozyste et qui fait difficilement face à son héritage de puissance d’oppression.


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