En plongeant les spectatrices et spectateurs dans la vie quotidienne – austère et silencieuse – du monastère de la Grande Chartreuse, „Le grand silence“ soulève plus de questions qu’il ne donne de réponses.
„Le grand silence“ est le deuxième film sur les Pères Chartreux que j’ai pu voir. Le premier, c’était à la Distillerie de Voiron, où est produite entre autres la fameuse liqueur verte. A la fin de la visite des caves, des hôtesses distribuaient des lunettes 3D et les images défilaient, accompagnées de la voix off du célèbre acteur Robert Hossein. Cette production „de luxe“ sert à la promotion aussi bien des alcools produits que de l’ordre des chartreux. Et tente de montrer une image idyllique de la vie monacale, avec cueillette de plantes et coups de hache résonnant dans la forêt.
Point d’idylle par contre dans l’austère „Grand silence“. La nature des alentours du monastère, en pleine montagne, est certes montrée, mais elle ne semble pas très présente dans la vie des pères. Leur „simple life“ apparaî t surtout comme éprouvante, avec de longues séances de prières et de lecture, en se privant volontairement d’éléments de confort basiques comme la lumière électrique. A part les séances de chant grégorien, où on oublie la rigueur du quotidien monastique, ce sont surtout des moments de poésie que capte la caméra, tel ce balancement d’un saladier en tôle mis à sécher. Est-ce là la voie de Dieu?
Le film de Philip Gröning soulève plus de questions qu’il ne donne de réponses. Ainsi on se demande qui centralise et organise dans cet ordre, où l’on ne se parle pratiquement pas. Après tout, il y a une survie économique à assurer et une entreprise de spiritueux à gérer. A Voiron, dans la vallée, on m’avait montré les caméras avec lesquelles les moines surveillent la distillation depuis leur monastère. Or l’unique trace de tout cela dans „Le grand silence“ est une scène montrant le père supérieur en train de faire de la comptabilité sur son ordinateur portable. Cela „jure“ avec le reste du film, mais reste très au-dessus des frivolités qui se déroulent à la distillerie des chartreux: touristes en short, charmantes hôtesses et dégustation (gratuite!) de liqueurs dans la salle des grands vitraux …
Bien entendu, tourner le dos au tumulte de ce monde est l’objet même de l’ordre. Le défi pour Philip Gröning était de transposer en images cette démarche spirituelle sans s’en remettre à des témoignages parlés. Le silence est parsemé de bruits de fond, mais vierge de toute musique d’accompagnement. La vie austère et solitaire que mènent ces hommes fascine le metteur en scène. L’idée de partir à la recherche de Dieu, ou d’une réalité transcendante l’a également séduit. Quant au résultat, il semble nous en laisser juges: projection de citations bibliques, suivie de plans fixes sur les visages des chartreux. Qu’y lit-on, au-delà de la fatigue des heures passées à prier? Dieu s’est-il laissé trouver?
Plus prosaï quement, la différenciation entre pères et frères à de quoi choquer. Alors que les uns méditent, les autres triment. De surcroî t, la plupart sont vieux, et la peine qu’ils ont à accomplir leur rude besogne est évidente dans le film. Pourtant, ce sont les frères qui profitent de la beauté de la nature, alors que les pères contemplent les murs de leurs chambres ternes. Cette abnégation, cette concentration sur Dieu seul les fait-elle accéder à la sagesse? Les blagues de séminaristes échangées lors de l’excursion dominicale (avec autorisation de parler) suggèrent le contraire. Et les propos pleins d’humanité – et de platitudes – du vieux père aveugle confirment nos doutes. Décidément, „Le grand silence“ n’est pas un film de publicité, ni pour l’ordre, ni pour la religion en général.
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Die große Stille,
à l’Utopia,
sortie en vidéo annoncée pour le 3 novembre