NANNI MORETTI: Trois en un – watch and go!

Comment faire une mauvaise soupe avec de bons légumes? Avec „Il Caimano“, Nanni Moretti rate un film qui avait tout pour réussir.

Ni pour, ni contre, bien au contraire: cette fois le spectacle de Nanni Moretti est tombé dans l’eau.

Comment lutter contre la „dictature“ des films d’auteur, de gauche de surcroî t, dans l’Italie des années 70? C’est simple: il suffisait de réaliser des films de série Z à la Ed Wood aux noms évocateurs de „Maciste contre Freud“ ou „Mocassins assassins“. Ou bien les aventures d’une certaine Aidra qui combat les maoï stes en les transperçant d’un pieux. C’est en tout cas le combat que menait le metteur en scène Bruno Bonomo (Silvio Orlando), désormais sur le déclin et désargenté. Même sa femme Paola (Margherita Buy), qui interpréta cette fâmeuse Aidra, ne veut plus rien savoir des escapades cinématographiques de son mari, qui ne désespère pas de la convaincre de s’associer à nouveau à lui. Rien à faire, elle préfère la musique classique et sa reconversion en cantatrice. D’ailleurs, il lui reste autant d’intérêt pour les navets de son mari que d’amour pour ce dernier; c’est-à-dire plus grand chose. Pour couronner le tout, ses deux jeunes fils qu’il aime profondément sont déjà légèrement névrosés.

Malgré tout, Bonomo tient bon et entend bien revenir de manière fracassante avec une superproduction intitulée „Le retour de Christophe Colomb en Italie“. Mais l’acharné semble bien être le seul à y croire car même son fidèle associé d’antan se lasse de ses extravagances. Pourtant, le salut frappe à la porte lorsqu’une jeune réalisatrice, Teresa (Jasmine Trinca), lui propose un scénario qui a déjà essuyé plusieurs refus. Bruno Bonomo le lit à peine, mais accepte de le produire, croyant tenir dans ses mains une sorte de thriller portant sur un homme d’affaires puissant et corrompu. Il ne se doute pas encore que la jeune idéaliste a pondu un pamphlet politique contre le président du conseil, Silvio Berlusconi. Le choc de la révélation passé, Bonomo, électeur déclaré du „Caï man“, se laisse néanmoins séduire par l’entrain de Teresa et va mettre toute son énergie à la réalisation de cette périlleuse entreprise.

Le berlusconisme aurait-il fatigué Nanni Moretti à ce point? C’est la première question que l’on se pose après avoir vu sa dernière oeuvre. Pourtant, il tenait en main tous les ingrédients pour la réussir: des interprètes très convaincants, un contexte politique propice et un scénario triptyque intéressant: Bonomo qui tente en vain de ressoudre son couple, les aléas de la réalisation d’un film et la critique politique. Même l’apparition de Moretti en personne campant Berlusconi (qui est en tout interprété par trois acteurs) est franchement impressionnante.

Mais c’est justement dans la juxtaposition des trois histoires que cela cloche. Moretti fait en effet passer ses personnages d’un récit à l’autre, brusquement, de sorte que le spectateur doit incessamment s’adapter à la nouvelle donne, tantôt dramatique, tantôt comique. Un peu comme si le réalisateur avait bâclé l’agencement des scènes lors du montage, donnant au tout le goût d’un cocktail improvisé – allez, ici un peu de politique, là un peu de tragi-comédie, et maintenant une petite séquence marrante. Clic-clac.

Non pas qu’il soit difficile de suivre les trois fils conducteurs de l’histoire. Ils se complètent logiquement dans l’illustration d’un homme qui lutte de manière attachante sur plusieurs fronts, décidé qu’il est à conserver coûte que coûte sa dignité – Silvio Orlando est d’ailleurs brillant dans son personnage à la fois ridicule et fier. Malheureusement, Moretti ne parvient pas vraiment à développer les trois trames et nous laisse constamment sur notre faim. On nous avait bien prévenu qu’il ne s’agissait pas d’un film strictement politique,
descendant en flèche le Cavaliere à la manière d’un Michael Moore. C’eût d’ailleurs été trop facile et nous ne lui demandions pas de le faire. Mais quand même: Nanni Moretti – conscient de sa réputation d’homme de gauche – aurait alors pu éviter de baptiser ce film d’après le surnom de l’ancien chef du gouvernement italien. Car non content d’avoir raté ce qui aurait pu devenir un petit chef-d’oeuvre, on a tout simplement l’impression qu’il nous a trompé sur la marchandise.


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