JAMES GRAY: Morne Vertu

Pour son troisième film, le réalisateur américain James Gray est resté fidèle à son thème de prédilection : la lutte du Bien et du Mal à l’intérieur de la famille.

Mais « We own the night » n’est pas simplement cette leçon de morale made in USA que la lecture d’un synopsis laisse craindre. Après tout, le chemin de l’enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?

Fin des années 1980 : Bobby Green (Joaquin Phoenix) est une figure incontournable des nuits new-yorkaises. Gérant d’une boîte de nuit branchée, il est considéré comme un fils par son patron, Marat Nezhinsky (Moni Moshonov). Mais pour continuer son ascension dans ce monde, il cache son véritable nom. Seule sa petite-amie Amada (Eva Mendez) sait qu’il est le fils du capitaine Burt Grusinsky (Robert Duvall) et le frère du lieutenant Joseph Grusinsky (Mark Wahlberg), deux membres éminents du NYPD. Lorsque le neveu de Marat, Vadim Nezhinsky (Alex Veadov), un trafiquant de drogue, tente d’utiliser Bobby pour étendre son emprise sur le marché et commence à menacer sa famille, celui-ci se voit contraint de prendre parti dans la guerre que se livrent police new-yorkaise et mafia russe?

Après « Little Odessa » en 1995, après « The Yards » en 2000, « We own the night » est le troisième film du réalisateur américain James Gray. Trois oeuvres en plus de dix ans, donc. Mais la maîtrise dont il sait à nouveau faire preuve, excuse et explique largement le rythme de travail de ce conteur. Car « We own the night » est empreint de cette discrétion qui n’a que l’apparence trompeuse de la facilité. En témoigne cette scène de course-poursuite en voiture, sous une pluie battante, qui renouvelle le genre. A la vitesse, aux chocs métalliques de l’extérieur, répondent l’adrénaline et l’angoisse dans l’habitacle. Le spectateur se retrouve finalement coincé avec Joaquin Phoenix, un huis-clos en pleine scène d’action – quasiment aucune musique, seules quelques phrases étouffées comme dans ces cauchemars éveillés où l’on sait que la situation nous échappe. Et au bout de la route : la mort.

Comme dans ses films précédents, James Gray narre la déchirure d’un clan sur fonds lutte entre le Bien et le Mal. « Shakespearien » est dès lors l’adjectif qui est maintes fois réapparu dans les critiques consacrées à sa dernière ?uvre. Et de fait, la profondeur du drame est tout autant au rendez-vous que la densité des personnages. Néanmoins, « We own the night » n’est pas simplement l’histoire d’un homme qui fait le choix de la vertu, de la piété filiale et du devoir, c’est aussi celle d’un dépérissement.

Il suffit pour s’en convaincre de comparer la dernière à la première scène. Celle-ci s’ouvre sur une Eva Mendes, sublime, allongée sur un divan, le ventre secoué par un souffle saccadé de désir. Sa main se faufile entre ses jambes tandis que Bobby se rapproche. La lumière est chaude. Dans le fond résonnent des beats de disco. Presque deux heures plus tard, l’on retrouve le même Bobby dans une salle des fêtes municipale, grise et terne, attendant d’être officiellement proclamé officier de police. Amada l’a quitté et il ne peut plus glisser qu’un « je t’aime » pudique à un frère qui, tout comme lui, a tout perdu. Tout ce qu’il a été et tout ce qu’il aurait pu être.

« We Own The Night », à l’Utopolis


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