PETER GREENAWAY: Peintre de la vérité ?

Enfin un film d’époque honnête! Non pas que la biographie de Rembrandt soit extrêmement fournie en détails, mais dans « Nightwatching », Peter Greenaway voit juste en donnant sa version.

Le peintre aux trois femmes.

Les décors sont théâtraux. Tous pourraient figurer dans les tableaux du maître et beaucoup de scènes sont arrangées de sorte que l’on puisse penser voir un tableau et non pas des images en mouvement. Greenaway semble même avoir opté pour des lumières naturelles (qu’il s’agisse de lumières du jour ou de chandelles) à l’instar de Stanley Kubrick dans « Barry Lindon ». Mais contrairement à son illustre prédécesseur, il évite d’en faire une comédie, et quand il donne l’impression que ses images sont des reconstitutions de tableaux, il est à mille lieues du pathétique et du kitsch religieux dont Mel Gibson nous inondait avec sa « Passion du Christ » – qui reste, cela dit en passant, un des meilleurs films splatter et gore de ces dernières années.

Rembrandt, tel que se l’imagine Greenaway, est un petit homme trapu, légèrement grossier, mais néanmoins très sensible et émotif. C’est un mari aimant, un fils de meunier qui, même s’il fréquente les plus hautes sphères de la bourgeoisie néerlandaise, n’a pas oublié ses origines et conserve un regard critique sur ses concitoyens. Greenaway le dépeint aussi comme un obsédé de la vérité. Ironiquement, c’est exactement sur ce point-là que « Nightwatching » s’éloigne de la vérité historique et que commence le travail de l’artiste qu’est le metteur en scène.

Mais d’abord, il convient de dire quelques mots au sujet du tableau connu sous le nom de « La Ronde de Nuit ». En fait, il ne s’agit nullement d’un tableau nocturne. Le titre original « La compagnie de Frans Bannin Cocq », était une oeuvre commandée par une guilde d’arquebusiers d’Amsterdam. Le tableau est fameux parce qu’il rompt avec les conventions d’une telle commande : au lieu de représenter les vaillants combattants en rang et en ordre, le peintre a choisi de les montrer en pleine action. L’image apparemment chaotique qui en ressort a forcément déçu les arquebusiers et profondément inspiré Peter Greenaway. Car ce dernier y voit plus qu’un progrès dans l’histoire de l’art. Il y voit l’histoire d’un meurtre que Rembrandt aurait voulu dénoncer en faisant glisser quelques détails sur lesquels, il est vrai, les historiens de l’art continuent à se poser des questions. Alors que les experts se crêpent le chignon sur des thèses contradictoires, Greenaway utilise cette faille pour y glisser sa propre histoire et sa version de son Rembrandt bien à lui.

Aux Pays-Bas du 17e siècle, les conspirateurs ne manquaient pas. Les paisibles provinces vivaient des années difficiles et la bourgeoisie des grandes villes cherchait à se débarasser du joug de la couronne espagnole. C’est pourquoi les guildes armées tenaient une place si importante dans ces sociétés, dans lesquelles on intriguait forcément. Sans vouloir donner trop de détails – pour ne pas enlever le plaisir à celles et à ceux qui voudraient bien voir ce film magnifique – on peut dire que l’hypothèse de Greenaway, même si elle n’est peut-être pas historiquement correcte, tient debout du point de vue narratif.

Et c’est cela qui compte et qui fait la différence entre « Nightwatching » et d’autres films à costumes dont le public semble avoir retrouvé l’appétit ces dernières années. C’est que Greenaway choisit délibérément d’introduire une fiction dans sa narration historique, qui, à l’exception de l’intrigue qui se noue autour du tableau, est totalement exacte. Ce parti pris témoigne de la profonde honnêteté de ses intentions, car il est fondamentalement impossible de reconstruire une époque telle qu’elle était par la magie du cinéma. Les metteurs en scène qui tentent cela induisent le public en erreur en lui donnant la fausse impression de pouvoir remonter le temps. Greenaway pour sa part, démontre à travers sa fiction narrative que le passé n’est que tel que nous le voyons à notre époque, que le fait d’être passé ne veut pas dire qu’il est forcément immuable car il bouge à travers notre regard qui – puisque nous vivons et que nous évoluons – change aussi. Cette belle leçon mérite à elle seule qu’on aille voir ce film.

« Nightwatching », à l’Utopia.


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