RÉFORME DU DIVORCE: Je t’aimais. Moi non plus.

Les travaux pour réformer la législation sur le divorce ont été entamés. Si un dépoussiérage s’imposait, les modifications prévues ne font pas l’unanimité.

Si ça continue, les traders, banquiers et autres spéculateurs de la finance commenceront à nous faire de la peine. Non seulement nombre d’entre eux se sont retrouvés du jour au lendemain à la rue pour cause de crise financière aigue, mais une affliction supplémentaire les touche de plein fouet : les divorces. Et oui, comme l’on peut le lire dans divers quotidiens étrangers ces derniers temps, cette catégorie socioprofessionnelle méprisée par Jean-Claude Juncker apprend à connaître les joies de la rupture conjugale. Avec la perte de leur voiture de sport, de la villa avec piscine, leurs faire-valoir féminins rencontrés dans les clubs branchés subiraient des restrictions budgétaires insoutenables et préfèreraient donc mettre les voiles. Oh, peuchère !

Comme quoi, en temps de crise, le mariage redevient une histoire d’argent et, a fortiori, les divorces aussi. En la matière, le Luxembourg est à la traîne. Et le législateur en a conscience, du moins depuis la législature précédente où le ministre de la Justice avait déposé, en 2003, un projet de loi portant réforme du divorce. Depuis lors, le processus législatif s’était quelque peu assoupi. Mais le réveil vient de s’annoncer, car cette semaine, la commission parlementaire de la justice a ressorti le projet de loi en question. La rapportrice du texte, la députée Christine Doerner (CSV), espère pour sa part qu’il pourra être voté avant la fin de cette mandature.

En tout cas, ce ne sont pas les dés-
accords qui manquent, tant la réforme de la législation du divorce touche à un certain nombre de principes lourds. Une des principales réformes concerne en effet l’abrogation du fameux « divorce pour faute », si souvent montré du doigt car archaïque et contraignant les futurs ex-époux à laver leur linge sale en public. La réforme de la loi sur le divorce prévoit pour sa part un « divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales des époux ». Pourtant, l’abolition pure et simple du divorce pour faute, qui est en réalité qualifié de « divorce pour cause déterminée », n’obtient pas l’aval du Conseil national des femmes (CNFL). La confédération des organisations féminines voit une incohérence dans le chef d’une abrogation de la faute tandis que le contrat nuptial confère encore toujours des devoirs aux époux, « alors que le non-respect de ceux-ci ne portera plus à conséquence ». Aux yeux du CNFL, il faudrait donc commencer par réformer l’institution du mariage elle-même avant de procéder à la réforme de sa procédure de dissolution.

Plus de fautifs

L’avis émis par l’« Ombuds-comité fir d’Rechter vum Kand » (ORK) partage cette critique, estimant que le divorce pour faute devrait être maintenu dans les cas « d’extrême gravité », tels que les violences conjugales ou les abus sexuels. Une telle disposition permettrait ainsi de maintenir une certaine forme de « divorce-sanction » avec, le cas échéant, des dommages et intérêts à la clé. Aussi l’ORK juge-t-il nécessaire que la société montre aux enfants le caractère intolérable de certains comportements. Christine Doerner pense pour sa part que l’article 1382 du Code civil, donc du droit commun, condamne déjà les « fautes » entre deux parties contractantes et rappelle que « quasiment plus aucun autre pays de l’Union européenne ne reconnaît encore le divorce pour faute ». Il est vrai qu’en matière de législations progressistes sur le divorce, l’Allemagne, et surtout l’Autriche, font encore figure de lanternes rouges. Serait-ce la raison pour laquelle la très machiste Association des hommes du Luxembourg (AHL) invite ce vendredi à une conférence à l’Université du Luxembourg au sujet de la loi sur le divorce chez nos voisins outre-Moselle ?

Quant au Conseil d’Etat, il n’émet pas d’objection quant à une éventuelle abrogation du divorce pour faute. A l’instar de Doerner, il s’appuie également sur le Code civil pour sanctionner les manquements aux obligations contractuelles. La Haute corporation applique la même logique aux violences conjugales, qui, à ses yeux, vont même « au-delà d’un comportement conjugal fautif », car ils constituent des « comportements socialement, voire pénalement répréhensibles », et de conclure que « supprimer le divorce pour faute, ce n’est pas supprimer la possibilité de la reconnaissance de ces agissements et leur châtiment ».

La réforme du divorce ouvre également un débat déjà entamé dans les années 70, sous l’ère Thorn, lors de la première réforme du divorce : celle de l’individualisation des droits sociaux. Cette question récurrente ne semble tout simplement pas vouloir s’imposer auprès des différentes majorités parlementaires. Le problème, c’est que le projet de loi revient sur la réforme de 1993 en introduisant une pension alimentaire de type indemnitaire. Le CNFL s’inquiète fortement de cette proposition arguant que « l’introduction d’une pension alimentaire de type indemnitaire enfoncera les attributaires (principalement les femmes) dans une situation de dépendance économique tout en les empêchant d’assumer leur itinéraire de vie ». Même son de cloche du Comité du travail féminin (CTF) qui plaide pour une « responsabilisation des individus », car une pension qui serait plus qu’alimentaire ; qui révisable et révocable, « donnerait l’illusion que, même en cas de dissolution, le mariage constitue une garantie de subsistance indépendamment de toute activité professionnelle ».

Splitting light

Ainsi, le CTF, à l’image du CNFL, appelle le législateur à enfin mettre en place l’individualisation des droits sociaux. Si le projet de loi ne prévoit pas encore cette disposition, Christine Doerner juge néanmoins nécessaire que le président de la commission juridique invite le ministre compétent pour débattre de cette question. Pour sa part, Doerner imagine de prévoir dans le projet une clause non obligatoire, en offrant par exemple la possibilité d’inclure le « splitting » dans le contrat de mariage. Ce serait donc une disposition qui ne relèverait pas de la sécurité sociale mais du contractuel. A titre personnel, elle estime en outre que si le partage de droits sociaux aurait plutôt intéressé les femmes de « sa génération », la situation professionnelle des femmes aurait évolué dans le sens de plus d’autonomie.

Sur un autre point, des avancées supplémentaires sont revendiquées de la part aussi bien de l’ORK que du CNFL : l’autorité parentale conjointe. Dans l’état actuel du projet de loi, cette notion reste facultative dans le sens où le texte prévoit qu’elle « peut être envisagée de l’accord des deux parents séparés ou divorcés ». Réforme trop timorée aux yeux du CNFL, qui craint « que la rupture du lien conjugal continuera, en principe, à entraîner la rupture du lien de responsabilité parentale dans le chef d’un parent ».

Mais un autre point pourrait envenimer davantage la procédure de divorce, alors même que le contraire est l’esprit du projet. En effet, dans sa volonté de préserver le plus possible les enfants des conséquences du divorce de leurs parents, les auteurs du projet de loi ont introduit une nouvelle disposition consistant à octroyer le bail du logement à celui des époux qui a obtenu la garde de l’enfant. En clair, même si le logement appartient en propre à l’époux A, le tribunal peut fixer la durée du bail, renouvelable jusqu’à la majorité du plus jeune des enfants, et le céder à l’époux B si celui-ci en a obtenu la garde. Si les auteurs du texte voient dans cette mesure une « pacification » des relations entre les ex-époux, la CNFL y voit au contraire une accentuation des conflits que les questions matérielles constituent souvent lors des divorces. Pour Christine Doerner, cette modification n’est pas non plus anodine, car elle constitue une « intrusion dans le droit de propriété ». Mais elle tient à relativiser cette disposition en évoquant une indemnisation du conjoint propriétaire du logement.

Reste à espérer que cette compensation évitera de sales guérillas post-conjugales. Mais il existe toujours une méthode imparable pour éviter les désagrément du divorce : il suffit de rester célibataire. Après tout, le mariage reste la première cause des divorces.


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