JEAN-FRANCOIS RICHET: L’ennemi fait pour le public

« L’Instinct de mort » est consacré à Jacques Mesrine, l’ennemi public qui enfonça les portes de la société du spectacle, calibre en main. Du grand spectacle, efficace et sans complaisance.

Gangster aussi controversé que brutal: Jacques Mesrine a marqué l’imagination
de son temps.

« On a armé ma main au son de la Marseillaise et cette main a pris le goût de l’arme », confiait Jacques Mesrine dans « L’Instinct de mort », l’autobiographie qu’il écrivit à la prison de la Santé, un an avant son ultime évasion, deux ans avant sa mort. Adapté de ce livre, le film de Jean-François Richet semble tirer toutes les conclusions de la citation, avec ce qu’elle comporte d’esprit de révolte, de contradiction, de provocation, mais aussi de forfanterie et de perversité.

Ainsi, si le film commence par nous présenter Mesrine, jeune conscrit contraint par ses supérieurs de torturer du fellaga en Algérie, il insiste toutefois sur son « goût de l’arme » et son choix résolu de vivre en dehors des lois.

Fils d’un commerçant aisé, le jeune Jacques grandit à Clichy-la-Garenne, dans l’un de ces pavillons de la banlieue parisienne qui sentent la soupe et le parquet ciré. Après la fin de son service, il se met à fréquenter les tripots de Pigalle avec son ami d’enfance Tony Ferreira, qui devient aussi le complice de ses premiers cambriolages. Arrêté une première fois en 1962, incarcéré pendant un an, il essaie de se ranger à sa sortie, mais en vain. Il multiplie alors les cambriolages, puis s’enfuit au Québec avec sa maîtresse, Jeanne Schneider. Le couple infernal y enlève un milliardaire, Georges Deslauriers, mais celui-ci réussissant à s’échapper, ils se lancent dans une cavale qui s’achève finalement dans le sud des Etats-Unis. Leur arrestation et leur extradition fort médiatisées installent le mythe Mesrine, mythe encore renforcé par l’évasion réussie du criminel français de l’une des prisons les plus brutales du Canada.

C’est à peu après jusque-là que nous mène le premier des deux longs métrages que Jean-François Richet a consacré à l’ennemi public des années Giscard. Un film d’action puissant, efficace mais équilibré dans lequel le réalisateur français, qui après plusieurs fictions remarquées sur la banlieue était parti pour Hollywood, s’écarte du cinéma d’auteur de facture hexagonale. Sans pour autant sombrer dans la débauche des effets inutiles et de la vacuité intellectuelle la plus tragique, les cinéastes de sa génération comme Jan Kounen, Christophe Gans et même Mathieu Kassovitz. Vincent Cassel, qui d’ailleurs a travaillé avec chacun des réalisateurs ci-devant mentionnés, est excellent dans ce rôle taillé à sa mesure, campant un Mesrine aussi fougueux, romantique, et incalculable que rancunier, violent voire impitoyable. Signalons également un Gérard Depardieu, très juste dans le rôle d’une vieille pointure du milieu, « maqué » avec l’O.A.S.

Enfin, la principale qualité du film est qu’il n’est pas un « Scarface ». Pas d’esthétisation de la violence ici. Celle-ci se suffit à elle-même, avec tout ce qu’elle a de fascinant, certes, mais surtout d`intrinsèquement arbitraire et d’écoeurant. Car le Mesrine qui, surpris en plein cambriolage, s’en sort par l’imagination et l’humour est le même que celui qui enterre vivant un proxénète arabe après l’avoir torturé ou qui enfonce le canon de son arme dans la bouche de sa femme, qui avait menacé de le dénoncer.

Si le réalisateur essaie d’échapper au piège de la complaisance, c’est qu’il a probablement compris à quel point le truand avait su décoder le fonctionnement des médias et jouer sur l’imagination et les fantasmes des spectateurs-consommateurs de son époque – pas étonnant qu’il ait tant fasciné les situationnistes. Dans un sens, Mesrine réussit même à mettre en scène sa propre mort. Mais ce sujet appartient déjà au deuxième volet du dyptique, « L’ennemi public numéro 1 », qui sortira en France à la mi-novembre et devrait être sur nos écrans peu après.

« Mesrine : L’Instinct de mort », à l’Utopolis.


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