OLIVER STONE: Un succès probable

Hormis un excès de freudisme, Stone a réalisé une analyse personnelle et politique sans complaisance, mais bien nuancée.

Le sosie du luxo-bushiste Dennis Hastert (à droite). Comme quoi, certain-e-s émigrant-e-s auraient mieux fait de rester sur leurs rives mosellanes…

Oliver Stone a repris du poil de la bête. Après son « Alexandre », où Colin Farell incarnait un improbable et pathétique roi macédonien à la tignasse peroxydée, le réalisateur culte s’est attaqué à un chef d’Etat plus contemporain mais tout aussi improbable : George W. Bush. L’exercice est osé : après avoir revu à sa sauce et avec talent l’assassinat de JFK et la présidence de Richard Nixon, Stone dresse son bilan d’un président en vie et toujours en exercice.

Cette fois-ci, le portrait est d’un genre différent. Loin du très sérieux Nixon qui confinait parfois à l’obscur, « W. : l’improbable président » flirte allègrement avec l’ironie, voire la satire, sans pour autant s’y plonger totalement. Quoi d’autre aurait-on pu d’ailleurs attendre du pire président des Etats-Unis de l’ère contemporaine ? Cette présidence qui s’achève enfin aura plongé le monde dans huit années de tragicomédie macabre. Pendant huit ans, le monde a assisté à un mauvais feuilleton avec son cabinet des horreurs aux commandes : Rice, Wolfowitz, Cheney, Rumsfeld, Rove et d’autres. Dans le tas, le président lui-même semble encore être le plus sympathique et sain d’esprit, c’est dire.

Et c’est justement une des premières impressions que laisse le film de Stone. En basant son film sur deux plans – sa jeunesse de gosse de riche et son mandat après le 11 septembre – Stone ajoute l’analyse freudienne à l’analyse politique. C’est d’ailleurs probablement la plus grosse faiblesse du film. Certes, s’il semble avéré que Bush Jr. ait fortement souffert de la comparaison avec le petit frère vertueux et de la sous-estimation que lui portait son père, Stone a tendance à surestimer le poids de ce complexe dans le cheminement du futur 43e président. Si ignorer ce fait aurait été une erreur, le mettre trop en évidence devient hasardeux. Après tout, le réalisateur n’est pas dans la tête de Bush.

George junior est un bon à rien, il n’aime pas le travail et préfère se faire virer d’une compagnie de forage pétrolier que de renoncer à une pause-bière. Mais voilà, le futur et improbable successeur de son père n’est pas un raté absolu. Dès le début du film, une scène clé met en lumière une qualité principale nécessaire qu’il faut à un politicien professionnel : le sens des relations sociales. Cette scène montre un baptême d’accueil typique d’une confrérie d’étudiants d’élite et bourgeois, avec humiliations et bourrage de gueule à la clé. Contrairement à d’autres étudiants, George est capable de citer tous les noms et surnoms des membres de la confrérie, ce qui lui vaut immédiatement la reconnaissance de ses pairs et le droit d’intégrer l’organisation. S’il ne sait pas très bien s’exprimer, s’il rechigne à travailler (est-ce d’ailleurs un défaut ?), il sait comment gagner l’estime et la sympathie des autres.

La thèse que propose Stone est fort crédible. Certes, Bush Jr. (Josh Brolin) n’est pas un grand intellectuel, mais son engagement repose sur des convictions fortes : d’un côté, une foi sincère mais extrême à laquelle ce « born again » doit sa résurrection sociale, et de l’autre, l’enfant de grands bourgeois, conscient des intérêts de sa classe et persuadé qu’il est du devoir des puissants d’être puissants et que ceux-ci dirigent l’Amérique, terre bénie et donc appelée à régenter le monde. Son entourage, magistralement joué par Richard Dreyfuss (Dick Cheney), Toby Jones (Karl Rove), Jeffrey Wright (Colin Powell), Scott Glenn (Donald Rumsfeld), sans oublier Thandie Newton qui campe une Condolezza Rice taciturne et glaçante, prend certes les décisions tactiques et stratégiques. Les capitaines à bord du navire USA, ce sont eux. Par contre, Bush conserve une certaine amirauté : il faut le convaincre (ou le manipuler, c’est selon), lui parler dans les termes qu’il affectionne.

Et lorsque Cheney lui expose à l’aide d’une carte les objectifs géostratégiques à long terme des Etats-Unis dans la région du Golfe et lui souligne la nécessité d’en faire la pièce maîtresse de l’empire, Bush comprend, acquiesce, tout en rétorquant que les « Américains ne comprennent rien au pétrole et à son importance, il faut leur parler de démocratie et de liberté ». Le président, souvent dépeint comme un attardé mental prend l’initiative et sait comment parler à son peuple pour le convaincre d’aller en guerre. Preuve qu’il n’est pas la marionnette absolue, mais un rouage du système, un acteur conscient de ces actes.

Finalement, hormis les passages parfois trop longs sur la jeunesse de Bush (contrairement aux scènes contemporaines) et leur caractère trop psychanalytique, Oliver Stone a réussi un film qui, s’il ne montre aucune complaisance à l’égard du futur ex-président, en dresse un portrait bien plus complexe, loin des réquisitoires un peu faciles (et finalement moins politiques) à la Michael Moore. Stone ne s’embourbe heureusement pas dans la facilité en incombant la politique désastreuse de Bush à son crétinisme. Le contexte politique constitue une composante majeure du film, le tout, il faut à nouveau le souligner, incarné par des acteurs qui transforment chacune de leurs répliques en régal cinématographique. Malheureusement, les personnages réels sont bien plus indigestes.

« W. : l’improbable président » à l’Utopolis


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