Avec Thierry van Werveke disparaît un des seuls acteurs luxembourgeois capables de se faire connaître à l’étranger – en même temps apparaissent des mécanismes sociétaux plutôt moches.
En examinant les faits tels qu’ils sont, on a du mal à le croire : comment un underdog comme van Werveke, qui le temps de sa vie ne s’est apparemment pas beaucoup différencié de son rôle-phare de Johny Chicago dans le désormais légendaire « Troublemaker » d’Andy
Bausch. Comment un punk, junkie et alcoolique de surcroît, en est-il arrivé à émouvoir tout un pays ? Comment expliquer qu’on lui rende hommage dans des journaux aussi conservateurs que le Wort, alors que d’habitude ces colonnes sont réservées aux personnes vertueuses et pieuses ?
Pour le dire d’emblée : on peut être sûr que Thierry de là-haut est toujours en train de pisser à la raie du cul des bénis-oui-oui qu’il détestait tant qu’il était encore en vie. Si on en est arrivé là, c’est qu’il doit y avoir un intérêt de la classe politique à s’approprier l’image d’un outlaw comme Thierry van Werveke savait les incarner, tant il excellait dans l’art de se donner lui-même. Cet intérêt est, somme toute, vite trouvé : il s’agit de fric et d’influence, deux des ingrédients qui font que le monde tourne, mais pas rond.
Récapitulons : avec « Troublemaker », van Werveke et Bausch ont donné naissance au film « typiquement luxembourgeois », un peu malhabile avec des faiblesses de scénario mais bon enfant et surtout très proche du peuple. A l’époque, on ne donnait pas grand-chose de ces premiers balbutiements d’un cinéma bien de chez nous, mais entretemps, les choses ont changé : l’industrie du film est même attirée exprès par un tax shelter et on fait tout ce qu’on peut pour promouvoir les « Films made in Luxembourg » – même si on a tendance à oublier les intérimaires et techniciens, mais bon, passons ?
Cette nouvelle tendance à (s‘) investir dans la production audiovisuelle est surtout motivée par le souci de diversification de l’économie nationale et c’est en partie du moins une très bonne idée. Juste que pour y arriver, on avait besoin d’un cheval de bataille, d’une figure de proue qu’on pouvait montrer à l’étranger. Ce fût la naissance du « Thierry national », le gentleman baroudeur. Avec « Inthierryview », le dernier film de
Bausch consacré à Thierry van Werveke, l’acteur lui-même a été pris de court par son succès et il a même légèrement pété les plombs quand les gens se sont mis à le reconnaître dans la rue. Lui, l’ex-clodo qui ne donnait d’habitude que ses autographes pour signer ses dépositions dans les commissariats de police, propulsé dans le monde du showbiz. Que ce monde pouvait dévorer et se servir d’une personnalité pour arriver à ses fins, ne lui est sûrement qu’apparu sur le tard. Et peut-être même qu’il s’en tapait, car tant qu’il était encore en vie, il pouvait toujours se défendre des appropriations.
Après sa disparition, les choses sont plus compliquées et on peut s’imaginer qu’en ce moment des milliers d’aiguilles sont en train de tisser une belle légende pour Thierry van Werveke. Une légende bien méritée en somme, car on oublie trop souvent qu’à part d’être un « original », il était un acteur et chanteur de grand talent, pourvu d’une authenticité à couper le souffle. Mais tout cela disparaîtra derrière la légende. Ce qui n’est pas mal non plus après tout. Juste que le paradoxe reste : que des gens qui n’avaient rien à voir avec lui se dorent sous son soleil et que finalement, le troublemaker a perdu son match contre la société qui aura bientôt fini de le digérer tout entier.