DROITS DES ÉTRANGERS: Same procedure as every five years

C’est une tradition : à l’approche des élections, l’Asti invite les partis en lice à présenter leurs programmes en faveur des droits des étrangers. Entre mauvaise foi et volonté sincère, le partage des rôles semble immuable.

De nouveau, les droits politiques des étrangers, dont leur droit de vote, font débat à l’approche des élections.

Tous les ans, à la veille du Nouvel An, c’est la même rengaine. La vieille lady Sophie et son butler James reçoivent des convives décédés autour d’un dîner de la Saint Sylvestre. Depuis des décennies, les téléspectateurs allemands (et luxembourgeois) se rivent devant leur poste dans un rituel original pour y visionner une petite pièce comique intitulée « Dinner for One ». Invariablement, le fidèle serviteur doit y ingurgiter tous les verres de vin à la place des amis disparus. Connaissant son châtiment, il n’en demande pas moins, à chaque tour de table s’il s’agit bien de la « same procedure as last year », ce à quoi la lady lui répond, comme toujours, « same procedure as every year ». La cuite est programmée d’avance. Comme tous les ans.

Au Luxembourg, il en va un peu de même tous les cinq ans, à l’orée des élections législatives et européennes. Si le rythme est moins soutenu, les organisations de défense des droits des non Luxembourgeois, Asti et Clae en tête, invitent les représentant-e-s des différents partis politiques en lice à des tables rondes les enjoignant à présenter leurs positions relatives aux droits des étrangers. Comme tous les cinq ans, ces représentant-e-s se plient avec discipline à cet exercice avec plus ou moins d’aisance aussi, en fonction de ce qu’ils se situent le plus à gauche ou le plus à droite de l’échiquier politique. Aussi, ces derniers temps, la situation s’est quelque peu clarifiée : l’ADR ne semble tout simplement plus être invité à ces traditionnelles déclarations publiques de bonne volonté. D’une certaine manière, il s’agit d’une situation gagnant-gagnant. Après tout, à mesure que l’ADR s’est définitivement replié dans les sous-bois de la défense de l’identité nationale à des années lumières des conceptions de ces organisations, sa présence devenait futile. Et il ne doit plus faire semblant de s’intéresser au sort de 40 pour cent de la population qui ne jouit pas de la « qualité » d’être Luxembourgeois, comme disent les textes officiels.

L’exercice reste néanmoins plus délicat pour le CSV. Une nouvelle preuve en fut donnée lors d’une mini table ronde organisée par l’Asti et déguisée en conférence de presse. Les présidents des partis ainsi qu’un-e candidat-e étranger-ère sur la liste européenne étaient invités à répondre succintement à trois questions. Ainsi, Maurice Bauer, secrétaire général adjoint du vieux paquebot chrétien-social démontra à quel point il peut être délicat de vouloir jouer le rôle d’un grand parti populaire se disant rassembleur, comme le veut son slogan de campagne « Zesumme wuessen » (« croître ensemble »). Appeler de ses voeux la « participation du plus grand nombre », selon les termes du premier ministre Jean-Claude Juncker, tout en ménageant une base et un électorat en partie conservateur ne va pas sans quelques contradictions.

Bourgmestre ou shérif ?

Ainsi, Bauer provoqua l’étonnement lorsqu’il répondit à la question de savoir pourquoi les citoyens étrangers se présentant aux élections communales ne peuvent revêtir les fonctions « exécutives » locales, à savoir les postes de bourgmestre ou d’échevin. Aux yeux du représentant du CSV, le bourgmestre est en charge des pouvoirs de police dans sa localité, ce qui lui confère de facto l’exercice d’une partie du domaine de la souveraineté nationale. L’intervention de la porte-parole des Verts et bourgmestre de Weiler-la-Tour, Tilly Metz, qui argua qu’il s’agissait d’une question de démocratie laissa Bauer de marbre. Dialogue de sourds.

Il faut dire que Bauer venait de recycler un argument glané dans les réponses d’une question précédente, celle concernant l’ouverture aux étrangers de la fonction publique. Sur ce sujet, un léger consensus s’était formé parmi les représentant-e-s des partis représentés à la Chambre des député-e-s : oui à une ouverture, à l’exception des domaines touchant à cette fameuse souveraineté nationale. Charles Goerens, président de la fraction du DP et candidat tête de liste aux élections européennes trouva d’ailleurs une image parlante : que dire si un proche de Christine Lagarde, ministre française de l’économie et des finances, occupait un poste à responsabilité dans un ministère luxembourgeois touchant à ces domaines ? En fait, Goerens avoua, inconsciemment peut-être, que les points sensibles de la souveraineté nationale se situent plutôt aux alentours du boulevard Royal que dans la caserne de Diekirch. L’ancien ministre de la Défense doit savoir de quoi il parle : après tout, le grand-duché ne voit aucune objection à faciliter l’incorporation de citoyens étrangers dans l’uniforme militaire luxembourgeois. Il faut bien trouver un moyen de pallier au manque de volontaires indigènes, afin de respecter les quotas de chair à canon que le Luxembourg doit livrer à l’Otan. En clair : si un étranger est tout à fait capable de se faire exploser sur une afghane au nom du Lion Rouge, il n’est de loin pas encore qualifié pour gérer la voirie ou l’organisation scolaire d’une commune comme Mertzig.

Restons aux manoeuvres militaires : dans un geste de suprême félonie, le représentant du LSAP, son vice-président Yves Cruchten, s’essaya à une légère offensive contre le CSV, son partenaire au gouvernement. Il rappela en effet qu’aux dernières élections, en 2004, le ministère de l’Intérieur avait envoyé un toutes boîtes aux citoyens de l’Union européenne, les enjoignant à s’inscrire sur les listes électorales. Or, cette année les boîtes aux lettres des citoyens communautaires sont restées résolument vides, alors que la limite d’inscription tombe à échéance le 12 mars. Une occasion que le président de l’Asti, Serge Koll-welter, ne manqua pas : moqueur, il se demanda où le gouvernement avait « stocké » les 200.000 euros prévus pour inciter ces citoyens à participer aux élections. Bon joueur, il préféra en rester là, estimant qu’il est trop facile d’attaquer en l’absence des personnes responsables. C’est vrai : on ne tire pas sur des ambulances, surtout lorsqu’elles contiennent un pharmacien dépassé par ses fonctions.

Autosatisfaction chrétienne-sociale

Pourtant, si le gouvernement ne le fait qu’à contre coeur, il faut bien que quelqu’un se charge de l’information aux citoyens étrangers. L’Asti adressa d’ailleurs la question aux partis : que comptent-ils faire pour qu’il y ait plus d’inscriptions aux élections européennes ? Evidemment, les partis en présence se doivent de faire bonne figure. Ainsi, le CSV se targue d’avoir fondé en son sein la section « CSV International », réunissant au sein du parti les membres étrangers. D’ailleurs, dans un communiqué de presse à ce sujet, le CSV se vantait d’être « le premier parti au Luxembourg qui s’engage dans une telle voie ». Mais est-ce vraiment, comme le prétendent les caciques, une structure « oeuvrant à faciliter l’intégration des étrangers au sein du CSV » ou bien un terrain de jeu alibi ? Tilly Metz se montra d’ailleurs sceptique quant à cette séparation et plaida plutôt pour une meilleure intégration des étrangers dans les structures existantes des partis. Par contre, là où le CSV fait résolument preuve de malhonnêteté intellectuelle, c’est lorsqu’il félicite le gouvernement « et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf », d’avoir mis en oeuvre la réduction du délai d’inscription des non Luxembourgeois sur les listes électorales (trois mois au lieu de quatorze avant la date des élections). Une manière d’occulter que Halsdorf fit longtemps traîner cette modification et qu’il ne la réalisa que sous la pression d’autres partis et de la société civile.

Mais que peuvent bien entreprendre les partis pour faciliter la participation politique des étrangers ? Il faut être lucide : tant que le droit de vote est réservé, pour les élections vraiment importantes dans la realpolitik partisane, c’est-à-dire les législatives, aux seuls Luxembourgeois, la participation politique des étrangers restera un souci mineur des grands partis. Quant aux petits partis aux moyens plus restreints, ils peinent de toute façon déjà à organiser des campagnes pour convaincre les citoyens luxembourgeois. La question est de savoir si les mesures les plus volontaristes des partis peuvent porter leurs fruits où s’il ne faut pas plutôt changer les règles. Ainsi, Fabienne Lentz de déi Lénk, revendique une séparation entre la citoyenneté et la nationalité, plaidant en faveur d’accorder tous les droits politiques à celles et ceux qui résident au Luxembourg, indépendamment de leur nationalité. Chose étonnante, le DP a engagé il y a quelques mois une réflexion sur l’accord du droit de vote des étrangers aux élections nationales. Si ce n’est pas encore la position officielle des libéraux, il faut leur reconnaître une certaine audace, d’autant plus que le sujet ne risque pas de faire l’unanimité dans leurs propres rangs. Mais à une époque où des gouvernement néolibéraux nationalisent des banques, il n’est pas étonnant que le DP se mette à s’inspirer de déi Lénk. Nous verrons dans cinq ans, à la veille des élections de 2014, où en sera le DP et comment auront évolué les autres partis lors des rituelles tables rondes. Same procedure as…


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