LES VERTS ET LA CRISE: Quel changement ?

Les Verts ont complété leur programme électoral avec un document spécialement consacré à la crise. Leurs idées sont originales et pragmatiques, mais pas forcément à la hauteur du désastre qui se prépare.

Eh, eh, eh !
Que faire ?
De l’audace, pardi … et de la verdure.

« Au Luxembourg aussi, il était de bon ton du côté de la politique et de l’économie de `laisser agir les forces du marché libre‘, même si plus d’un décideur politique nie à présent sa responsabilité dans cette crise. » Cette phrase n’est pas tirée, comme on pourrait le croire, d’un pamphlet de la gauche radicale, critiquant notamment les sociaux-démocrates et les Verts pour leur complaisance envers la doctrine néolibérale. Non, elle est tirée de la résolution sur la crise économique adoptée samedi dernier par … « Déi Gréng ». Auraient-ils oublié leurs propositions de ces dernières années de mettre les marchés – de l’énergie, des certificats CO2, des capitaux – au service de la « révolution » verte ? Ou bien s’agit-il juste d’accabler les trois partis traditionnels de l’oppobre du moment, à savoir le libéralisme économique ? Ce qui est certain, c’est que les Verts ont compris que la crise économique est la grande affaire de cette période préélectorale, et que leur électorat attend un discours critique envers le système qui a failli.

L’idée de convoquer un congrès spécial « crise » s’imposait à « Déi Gréng », puisque leur programme électoral, bouclé en octobre dernier (woxx 975), risquait d’être dépassé quelque peu par les événements. Tactiquement, la décision de consacrer une assemblée du parti à ce sujet est habile, car elle leur permet d’afficher leur capacité de réagir à des circonstances changeantes. Quant au fond et cela vaut pour tous les courants politiques, les réponses d’hier, dans un contexte stable, sont inadaptées à la situation qui se développe, avec ses difficultés nouvelles et ses nouvelles possibilités d’agir. Pour toutes ces raisons sans doute, près d’une centaine de militant-e-s se sont retrouvé-e-s samedi dernier pendant sept heures au Centre Barblé à Strassen – malgré le beau temps qu’il faisait dehors.

« Le Luxembourg est mal préparé, il faut le dire ouvertement aux gens », a martelé François Bausch lors de la présentation du « programme d’urgence contre la crise ». « Nous risquons un taux de chômage tel que nous n’en avons plus eu depuis la fin de la guerre, supérieur même à celui durant la crise sidérurgique. » Selon Bausch, le monde aurait oublié les leçons de cette autre grande crise, celle de 1929 : « Il faut accepter le marché comme un instrument, mais le réguler afin d’éviter les injustices sociales et le désordre. » Or, à partir des années 80, on aurait au contraire sacrifié tout cela à l’idéologie néolibérale.

Si l’introduction du « programme d’urgence » dénonce vivement les défauts du système économique actuel, les Verts tentent de se montrer constructifs dans le reste du texte – et en oublient parfois la critique. Ainsi, sous le titre « Mieux réguler », on trouve certes dix lignes consacrées au manque de régulation de l’économie de marché. Mais ensuite, sur 25 lignes, les Verts s’en prennent à la « surrégulation » : « Un ensemble conséquent de règles sociales et écologiques ne doit pas conduire à un surplus de bureaucratie. » Tout au plus une demi-phrase met-elle en garde contre « le risque que des dispositions substantielles passent par-dessus bord ». Les Verts se placent ainsi en porte-à-faux par rapport à l’alarmisme du Mouvement écologique. Celui-ci avait, deux jours plus tôt, dénoncé le « dumping démocratique et écologique » du programme de relance gouvernemental.

Un programme bien ficelé

Clairement, la dénonciation des risques de la crise compte moins dans la stratégie électorale du parti vert que les chances qu’elle est supposée offrir. Le triple E géant en carton, placé à côté de la tribune du congrès, signifie « Ecologie, Economie, Education » et correspond au fameux « win-win-win ». « Déi Gréng » essayent prioritairement de positiver et d’afficher leur compétence. Et en effet, la capacité de ce parti à développer des idées est impressionnante. Lors du congrès, le texte du « programme d’urgence » a encore été soumis à un exercice d’optimisation collective, démontrant s’il le fallait, l’engagement et le sérieux de la base.

Bien entendu, cette optimisation s’est limitée aux détails, comme celui de déplacer ou de biffer des passages ambigus. Tout au plus a-t-on pallié certains oublis du texte initial en rajoutant des passages sur les relations Nord-Sud et la crise ainsi qu’une mise en garde explicite contre « la croissance sans discernement ». Ainsi, au-delà de la critique convaincante de la politique gouvernementale et de l’ébauche de perspectives positives, le « programme d’urgence » reste vague quand il traite des difficultés, notamment sociales, à venir. Et il s’inscrit dans un discours qui est celui des Verts depuis une dizaine d’années, celui du changement écologique sans changement de système économique – une attitude dont les faiblesses deviennent plus apparentes en ces temps de crise économique qui pourrait bien déboucher sur une crise systémique.

Concernant le secret bancaire, les Verts, jusqu’ici fort discrets sur ce sujet, ont fini par adopter une position critique : pour le maintien de la « confidentialité », mais contre une confidentialité qui couvrirait l’évasion fiscale. A un moment où l’ensemble de la classe politique luxembourgeoise est d’accord pour faire des concessions substantielles en matière d’échange d’informations bancaires, cette position n’est pas particulièrement courageuse. Elle représente cependant un progrès par rapport à l’attitude de l’eurodéputé Claude
Turmes, qui, en novembre dernier, avait publié une mise au point : « … je n’ai à aucun moment voté contre les intérêts du Luxembourg, ni plaidé pour la levée du secret bancaire. »

Si la niche « paradis fiscal » appartient sans doute au passé, les Verts ont des idées sur les niches à venir : ils suggèrent une spécialisation de la place luxembourgeoise dans l’investissement éthique et écologique, qui répondrait aux exigences des clients concernant des placements « durables ». De même, l’avenir de la sidérurgie serait assuré par la demande d’acier de haute qualité dans le cadre du boom des éoliennes et de la construction de bâtiments écologiques. Même pour le secteur des équipementiers automobiles, les Verts ont une recette miracle : cette industrie n’aurait qu’à miser sur les voitures hybrides et électriques. L’enthousiasme pour les technologies de pointe et le patriotisme industriel semble avoir obnubilé les auteurs du texte, car à rêver la « voiture de l’avenir », ils en perdent de vue l’idéal d’un avenir sans voitures.

Contre le secret, pour la voiture

Plus généralement, le « programme d’urgence » multiplie les propositions pragmatiques, depuis les prêts à taux zéro pour la rénovation des maisons jusqu’aux filières francophones de formation professionnelle, en passant par un rôle accru des communes dans la politique de relance. Mais tout au long du texte, on tombe sur des formulations apparemment en contradiction avec le rejet de l’idéologie du marché proclamé dans l’introduction. Ainsi, les Verts souhaitent que dans le domaine de l’énergie, les communes puissent coopérer avec le secteur privé et « mieux se préparer à la libéralisation ».

Enfin, un chapitre entier est consacré à l’économie sociale et solidaire, afin de souligner son importance comme support de l’activité économique. Hélas, tout comme le gouvernement et la plupart des acteurs de cette économie, les Verts la réduisent à une seule fonction : donner du travail à ceux qui sont éjectés du « premier » marché de l’emploi et éventuellement les préparer à y retourner. Il est vrai que les « initiatives pour l’emploi » constituent les entreprises les plus en vue de l’économie sociale. Cependant, l’idée à la base de ce « tiers secteur » n’est pas de payer les pots cassés du capitalisme sauvage, mais de proposer une forme d’activité économique alternative, entre le secteur public et les entreprises privées. Cette activité peut être celle de la réinsertion par le travail, mais aussi celle d’une coopérative vendant des produits écologiques… ou sortant un journal alternatif comme le woxx. A un moment où capitalisme et marché montrent leur incapacité à employer les talents et à satisfaire les besoins véritables, l’économie sociale peut représenter une alternative – à condition de ne pas la considérer comme un réservoir de petits boulots à destination des laissés-pour-compte.

L’impression générale de manque de perspectives larges et de timidité dans la critique du système capitaliste dégagée par ce congrès a été quelque peu dissipée par le discours de clôture de Claude Turmes. Partant de l’action de Franklin Roosevelt dans les années 30, il a souligné l’importance de la dimension sociale du « new green deal » demandé par les Verts : « Il faut donner des emplois aux gens, renforcer les syndicats et redistribuer les richesses. » L’eurodéputé a ensuite ébauché les changements de paradigmes radicaux nécessaires au passage à une économie verte. Pour finir, il a mis en avant Barack Obama comme symbole du dépassement de la société de consommation selon le principe « être plutôt que paraître ».

Hélas, cette belle envolée était elle aussi entâchée de pragmatisme inféodé au système capitaliste : en évoquant le tournant vert de la place luxembourgeoise, Turmes assurait qu’il y avait « suffisamment d’argent qui attend d’être investi, mais ceux qui le détiennent demandent à être convaincus ». Ainsi, l’avenir de la place luxembourgeoise, tout comme la révolution écologique, dépendraient du bon vouloir du capital privé ? Dans ce cas, il n’y aurait pas de quoi être optimiste.


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